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La charte 08, un rêve chinois réprimé

Ensemble, nous ferons avancer la grande réforme de la société chinoise et l’instauration rapide d’un État libre, démocratique, constitutionnel. Nous réaliserons ainsi les rêves et idéaux auxquels aspirent sans relâche les Chinois depuis plus de cent ans.”


C’est par ces mots que se termine la Charte 08, publiée 10 décembre 2008, par des dissidents chinois, demandant au gouvernement le respect des droits humains dans l’Empire du milieu. Les dissidents chinois célèbrent par cette charte le soixantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, signée le 10 décembre 1948. Mais l’année 2008 est aussi marquée par un affaiblissement du gouvernement chinois par la crise financière et par la corruption qui ronge le pays, malgré l’apparente réussite des Jeux Olympiques.


Après sa publication, la Charte a pris la forme d’une pétition diffusée sur Internet. Ce n’est pas la première pétition chinoise réclamant un meilleur respect des droits humains. En 1989, des pétitions de dissidents chinois comme Bei Dao ou Fang Lizhi avaient déjà affaibli le gouvernement. En août 2007, 37 intellectuels chinois, dont Liu Xiaobo, avaient lancé une pétition demandant au gouvernement chinois une démocratisation du régime. Mais cette Charte 08 reste inédite par son ampleur. La Charte 08 est signée par 303 Chinois venus de différents milieux sociaux et pas seulement par des dissidents chinois. Elle a ainsi été signée par des intellectuels, des députés, des cadres du Parti communiste chinois, des journalistes, des avocats, des professeurs mais aussi par des paysans, des soldats, des leaders ruraux et des chômeurs. Une semaine après sa publication, la Charte comptait déjà 5 000 signatures.


En 2012, ce sont plus de 10 000 personnes qui ont signé cette pétition. La diaspora chinoise a également contribué à ces signatures comme les écrivains Han Jin et Zheng Yi, l’historien Yu Ying-Shih. Le Dalaï-Lama et le célèbre artiste dissident chinois Ai Weiwei ont aussi soutenu publiquement la Charte 08.


Un véritable programme politique aux inspirations

occidentales diverses

Héritière de la Charte 77

La Charte 08 s’inspire sans aucun doute de la Charte 77 tchécoslovaque. Rédigée en janvier 1977 et signée par 200 intellectuels tchécoslovaques dont les philosophes Václav Havel et Jan Patočka, la Charte 77 est née de la répression du gouvernement communiste face au groupe de rock non-conformiste de Prague, The Plastic People of the Universe.


Ainsi, comme la Charte tchécoslovaque, la Charte 08 exprime la volonté de mettre fin au système du Parti communiste unique qui monopolise le pouvoir. La suprématie du Parti communiste est ainsi remise en cause par l’article 18 de la Charte 08 qui préconise une République fédérale contre la centralisation de l’État par le Parti communiste.


Les signataires de la Charte demandent également au gouvernement chinois de respecter l’amendement de 2004 de la Constitution qui garantit le “respect et la protection des droits humains”, ainsi que l’article 2 de la Constitution chinoise qui dispose que : “Tout le pouvoir en République populaire de Chine appartient au peuple.”

La démocratie athénienne et les Lumières à l’honneur
Un véritable programme politique, organisé en dix-neuf points…

Cette charte ne s’inspire pas uniquement de la Charte 77 mais aussi de concepts politiques de la démocratie athénienne. “Il faut appliquer les principes de l’égalité devant la loi”, énonce la Charte 08. Un des principes fondamentaux défendu par la Charte est en effet l’égalité devant la loi, rappelant l’isonomie (égalité devant la loi) mise en place par Clisthène au VIe siècle avant J-C. La Charte 08 insiste également sur le fait que “le gouvernement doit rendre compte aux contribuables”. La Charte 08 propose ainsi l’instauration d’une fonction publique rendant des comptes aux citoyens, faisant écho à l’euthynai (reddition des comptes) qui était une forme de contrôle des magistrats athéniens.


… qui s’inspire surtout des Lumières et de la Révolution Française

La Charte 08 préconise ainsi l’instauration d’une démocratie parlementaire fondée sur le respect des droits humains dits de première génération, c’est-à-dire les droits naturels défendus dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, des droits considérés comme inhérents à chaque personne humaine, tels que la liberté d’expression (“Nous devons réaliser la liberté d’expression, la liberté de la presse et la liberté académique”) ou la liberté de religion (“La liberté de religion et de conviction doit être garantie”). Des principes fondamentaux empruntés aux idéaux de la Révolution Française sont bien présents dans cette Charte comme la liberté, l’égalité, la démocratie ou encore le républicanisme. Tout comme les révolutionnaires de 1789 avaient tenté de trouver le meilleur régime politique par diverses tentatives constitutionnelles, la Charte 08 apparaît comme une réponse constitutionnelle face à une situation politique donnée. La Charte propose d’ailleurs la mise en place d’une nouvelle Constitution chinoise (“Nous devons refondre la Constitution”). Le constitutionnalisme est en effet un moyen privilégié pour lutter contre les vices de la politique, comme la tyrannie et la concentration des pouvoirs. Doter la Chine d’une nouvelle Constitution aurait ainsi permis de défaire les défauts de l’ancienne Constitution et notamment, la suprématie du Parti communiste.


La Charte 08 emprunte ainsi des concepts politiques aux écrits de Montesquieu, en mettant en avant l’importance de la séparation des pouvoirs, de la démocratie législative, et aux écrits de Rousseau, en énonçant que “le peuple est souverain”. En préconisant l’élection des agents de la fonction publique “sur le principe d’”une personne, un vote””, la Charte 08 s’inspire aussi directement des thèses de l’abbé Sieyès, qui dans Qu’est-ce que le Tiers-Etat (1789), recommandait l’élection par tête et non par ordre.

Alors que les Jacobins s’identifiaient comme des “hommes de vertu”, la Charte 08 s’appuie davantage sur le concept de “vérité”, à travers la volonté d’établir une “Commission Vérité”. Cette Commission aurait pour but de payer des réparations aux dissidents chinois qui auraient été blâmés et de libérer les prisonniers politiques.


Mais la Charte 08 ne se contente pas de défendre les droits naturels de 1789, mais aussi des droits dits de seconde génération tels que la protection sociale ou l’égalité rurale-urbaine ainsi que des droits dits de troisième génération comme la protection de l’environnement.


Mais pour Jia Qinglin, un des dirigeants du gouvernement chinois, la séparation des pouvoirs et le multipartisme ne sont que des “concepts occidentaux”. Pour les dirigeants du Parti communiste, les signataires ne seraient que des marionnettes de l’Occident, un prétexte facile à utiliser pour justifier la répression de ces derniers. Xi Youyi, l’un des signataires, justifie la légitimité de cette Charte et de ses emprunts à des concepts politiques des Lumières en expliquant que les Occidentaux n’ont pas le monopole de droits justement dits “universels”.


Une Charte néolibérale ?

Cette Charte 08 est le reflet du mouvement libéral chinois qui prône des valeurs universelles comme les droits humains, par opposition au mouvement conservateur soutenant des valeurs traditionnelles et une spécificité culturelle chinoise. Par son occidentalisme, la Charte 08 promeut aussi le néolibéralisme économique, malgré la crise financière de 2008, avec notamment un article novateur sur la protection de la propriété privée. “Nous devons établir et protéger le droit à la propriété privée, promouvoir un système d’économie de marché libre et ouvert” énonce ainsi le point 14 de la Charte 08. Bien qu’il soutienne les droits démocratiques préconisés par la Charte 08, le professeur d’histoire Qin Hui n’a pas signé cette Charte 08. Avec ce point 14 sur la propriété privée, Qin Hui craint un développement de la privatisation, pouvant augmenter les problèmes sociaux déjà bien présents en Chine. Pour Qin Hui, la Charte 08 n’insiste pas au contraire sur certains droits comme l’indépendance des syndicats.

La répression des dissidents chinois et des signataires de la Charte

Dès le 6 décembre 2008, quatre jours avant la publication de la Charte, Wen Kejian, l’un des signataires de la Charte, est détenu et interrogé par la police à Hangzhou.


Le 8 décembre, Zhao Dagong est interrogé par la police à Shenzen. A Beijing, le même jour, Zhang Zuhua et Liu Xiaobo, deux dissidents chinois signataires sont arrêtés par la police. Zhang Zuhua sera finalement relâché après avoir été interrogé pendant douze heures. La police confisque le passeport, les cartes bancaires, les dossiers, les ordinateurs et les livres de Zhang Zuhua à son domicile. Liu Xiaobo, quant à lui, reste détenu dans la banlieue de Beijing. La police bloque également la messagerie électronique et le téléphone de Liu Xiaobo.


Des centaines de signataires et rédacteurs de la Charte ont été convoqués et harcelés par la police chinoise juste après la publication de la Charte le 8 décembre.

Le 9 décembre, l’avocat Pu Zhiqiang et le philosophe Jiang Qisheng sont à leur tour convoqués par la police à Beijing.


Il en est de même pour l’écrivain Liu Di et le journaliste Gao Yu, le 11 décembre.


En janvier 2009, Bao Tong, un ancien cadre du Parti communiste, est surveillé 24h/24 par la police.

Au total, ce sont plus de 70 signataires de la Charte qui ont subi une répression policière.


“Tous les fonctionnaires doivent observer le principe de neutralité politique, y compris dans la police.” énonce la Charte 08. Cette accumulation de convocations et d’interrogations par la police est bien le reflet de ce que dénonce justement la Charte 08 : une liberté d’expression et d’association bafouée en Chine au détriment de la neutralité policière.


En mars 2009, le prix “Homo homini”, décerné chaque année par l’association tchèque People in Need pour les droits de l’Homme a été attribué aux signataires de la Charte.


Depuis la publication de la Charte, les dissidents et signataires chinois continuent de se mobiliser en faveur des droits humains. Le signataire He Weifang tente par exemple de réformer le système judiciaire chinois. Mais le Parti communiste reste intransigeant et chaque étincelle dissidente qui pourrait mettre le feu aux poudres et renverser le régime, est férocement réprimée. Ainsi depuis novembre 2010, He Weifang a l’interdiction de quitter le territoire chinois. Il en est de même pour l’avocat et signataire de la Charte, Teng Biao, enfermé pendant deux mois dans un lieu inconnu en 2011 et désormais sous résidence surveillée.


Liu Xiaobo, l’un des principaux rédacteurs de la Charte et prix Nobel de la paix, détenu pendant huit ans

Liu Xiaobo, un écrivain et professeur de littérature, avait déjà été condamné à vingt ans de prison pour sa participation aux événements de la place Tian’anmen, le 4 juin 1989. Il dédie son ouvrage, La Philosophie du porc, aux victimes de Tian’anmen. Dans cet ouvrage, il dénonce notamment la corruption des intellectuels chinois par le Parti communiste.


En 1996, Liu Xiaobo avait été condamné à trois ans de “camps de rééducation par le travail” après avoir demandé la libération des participants du mouvement du 4 juin 1989.


Le 8 décembre 2008, Liu Xiaobo est arrêté par la police pour sa participation à la rédaction de la Charte 08. Les États-Unis appellent la Chine à le libérer le 11 décembre 2008. Mais Liu Xiaobo est condamné à 11 ans de prison, en décembre 2009 pour le motif assez abscons “d’incitation à la subversion de l’État”, peine créée en 1997. Il est accusé à la fois pour ses écrits, pour sa participation active à la rédaction de la Charte, mais aussi pour son soutien affiché aux Etats-Unis. Il est emprisonné dans la province de Liaoning, à la prison de Jinzhou. En décembre 2009, les États-Unis, l’Union européenne, l’ONU ainsi que de nombreuses ONG comme Human Rights Watch, Amnesty International, Reporters Sans Frontières, demandent au gouvernement chinois la libération de Liu Xiaobo. Son épouse, Liu Xia est placée sous surveillance policière et assignée à résidence.


Le 8 octobre 2010, le prix Nobel de la paix est décerné à Liu Xiaobo, alors qu’il est encore en détention. Václav Havel, l’un des principaux acteurs de la Charte 77, a salué le Comité du Prix Nobel de ne pas avoir cédé aux pressions chinoises et d’avoir favorisé les défenseurs des droits humains. Liu Xia n’a pas été autorisée à se rendre à Oslo pour recevoir le prix Nobel au nom de son mari.

Contre toute attente, le 26 juin 2017, Liu Xiaobo est placé en liberté conditionnelle. Atteint d’un cancer du foie en phase terminale, Pékin a sournoisement préféré libérer le dissident chinois afin que ce dernier ne meure pas en prison. Le décès du prix Nobel de la paix en prison aurait nui à l’image de l’Empire du milieu. Liu Xiaobo a été transféré dans un hôpital de Shenyang mais n’a pas pour autant été gracié. Amnesty International demande sa libération sans condition et la fin de l’assignation à résidence de Liu Xia.


La Charte 08 n’a donc pas abouti puisque non seulement la Chine reste un Etat anti-démocratique, corrompu et dominé par le Parti communiste, mais aussi parce que les signataires de la Charte ont été surveillés, interrogés, voire emprisonnés. La répression de ces dissidents chinois est le reflet de ce que dénonçaient justement les signataires de cette Charte: un Etat qui bafoue la liberté d’expression et les droits de l’Homme. Mais ce mouvement n’a pas été pour autant inutile. La Charte 08 est d’abord un signe d’espoir. Ainsi, il a fallu attendre la fin du XIXe siècle pour que les principales réclamations du mouvement chartiste britannique de 1848 aboutissent, comme le vote à bulletin secret. De même, il a fallu attendre 1989, soit douze ans après la Charte 77 pour que la révolution de Velours renverse le Parti communiste tchécoslovaque.


La Charte 08 démontre ainsi que la dissidence chinoise est encore présente malgré les menaces du gouvernement et que comme l’explique le poète signataire Guan Dangsheng : “les nuages n’arriveront jamais à bloquer le soleil”.



Pour aller plus loin >> Lire la Charte 08 (en français) : http://www.lefigaro.fr/assets/pdf/Charte08.pdf


Une bibliographie sélective :

  • Jean-Philippe Béja, “Lointains héritiers de la Charte 77, des intellectuels chinois lancent la Charte 08”, Esprit, Février 2009.

  • Jean-Philippe Béja, “Editorial”, Perspectives chinoises, Février 2009.

  • Arnaud de La Grange, “L’opposition chinoise rêve d’une révolution de velours”, Le Figaro, 26 janvier 2009.

  • Michel Eltchaninoff, “Trop occidentale, la Charte 08 ?”, Philosophie Magazine, 17 septembre 2012.

  • Emilie Frenkiel, “Note préliminaire sur la condition des universitaires en Chine”, Critique internationale, Presses de Sciences Po, 2011, n°50.

  • Qin Hui, “Kommentar zur Charta 08”, Asia Weekly, 8 mars 2009.

  • Au Loong Yu, „Charta 08 – Menschenrechtscharta unter Ausschluss der arbeitenden Bevölkerung“, Globalization Monitor, mars 2009.

  • Perry Link, “China’s Charter 08”, The New York Review of Books, Janvier-Février 2009, n°1, vol. 56, p.54-56.

  • Bruno Philip, “Pékin ferme la porte aux signataires de la Charte 08”, Le Monde, 26 décembre 2008.

  • Daniel F. Vukovich, “From Charting the Revolution to Charter 2008: Discourse, Liberalism, De-Politicization”, Culture and Social Transformation: Theoretical Frameworks and the Chinese Context, Brill Press, 2014

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