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"Depuis quelques mois le régime s'en prend aux bloggeurs"


© La Croix

L’exposition internationale d’Astana 2017 consacrée à l'énergie du futur se clôture aujourd'hui. Au printemps dernier, alors que le Kazakhstan inaugurait l'événement en grandes pompes pour redorer son blason à l'international, Bolat Atabayev entamait une tournée en France pour alerter sur le durcissement du régime. Ancien directeur de théâtre à Almaty, entré en dissidence en 1996 et en exil en Allemagne depuis 2012, il décrit une société civile sous pression.


Existe t-il aujourd'hui une opposition au Kazakhstan ? Quelle est la situation ?


Il n'y a aucune opposition structurée à l'intérieur du pays. En revanche, il existe quelques poches de liberté, comme en Russie. Des jeunes se révoltent sur les réseaux sociaux. Je leur sers de tribune dès que j'ai le temps, je relaye leurs messages. Ils en ont assez du président actuel, au pouvoir depuis 25 ans. Mais depuis quelques mois, le régime s'en prend violemment au bloggeurs et aux opposants actifs sur internet. Ils sont régulièrement arrêtés et emprisonnés.


Vous êtes aujourd'hui en exil en Allemagne quel a été votre parcours ?


J'ai grandi à Bakanas, dans la région d'Almaty, au contact de la minorité allemande. Je me suis passionné pour sa littérature et sa philosophie puis j'ai fait des études de théâtre. J'ai ensuite fondé le "théâtre allemand" à Almaty. Les artistes allemands au Kazakhstan ont beaucoup lutté pour leur autonomie culturelle. Ils m'ont appris à penser différemment.


A quand remonte votre premier acte de "désobéissance civile" ?


C'était en 1996 ! Le président Nazarbaïev a dissous le Conseil suprême (notre parlement) qui selon lui était trop "démocratique". J'étais alors un homme apolitique et heureux. Mais à ce moment là, j'ai eu un déclic. Ce bonheur ne m'intéressait plus, j'étais déçu. J'ai basculé ! Je suis descendu dans la rue pour manifester mon désaccord. Et je suis devenu un dissident.


C'est la raison pour laquelle en 2011 vous avez décidé de soutenir le mouvement des grévistes de Janaozen ?


C'est la deuxième date importante après 1996. L'année 2011 a marqué un nouveau tournant, celui d'une société civile re-naissante. Je me suis rendu à Janaozen pour soutenir des grévistes du secteur pétrolier puis j'ai été arrêté, emprisonné, et libéré trois semaines plus tard sous l'effet de la pression internationale.


Pourquoi êtes-vous en exil alors ?


En 2012, je suis allé à Bruxelles alerter les parlementaires européens sur la situation au Kazakhstan. La veille de mon retour, mon avocat m'a téléphoné et m'a dit : "rendez votre billet de théâtre, les conditions climatiques ont changé". C'était une manière de me faire comprendre de ne pas rentrer au Kazakhstan et pour me dire que j'allais à nouveau être arrêté. Je n'avais pas d'argent, je me suis donc demandé comment j'allais faire pour vivre. Je me suis rappelé que certains acteurs du "théâtre allemand" d'Almaty avaient quitté le Kazakhstan pour l'Allemagne en 1996. Je les ai contacté. Ils ont fait une collecte pour me soutenir financièrement. J'ai ainsi reçu une petite somme. Je suis alors parti en Allemagne, j'ai "squatté" quelques mois chez les uns puis chez les autres avant de pouvoir redémarrer une nouvelle vie.


Que faites-vous aujourd'hui ?


Je suis professeur d'art dramatique au théâtre de Cologne. Dès que je peux, j'essaye d'alerter sur la situation au Kazakhstan via les réseaux sociaux. Je me démène aussi pour rencontrer des députés, des journalistes, des hommes politiques partout en Europe. Mais je n'ai pas beaucoup de temps, il faut que je gagne ma vie, que je travaille pour me nourrir, que je donne des cours. Je me réveille parfois en sursaut à 4 heures du matin et je me demande ce que je fais là en Allemagne, si loin de mon pays et de ma famille. Autrefois j'étais sévère, cynique. Je vais avoir 65 ans et je deviens sentimental !


Nourrissez-vous encore un quelconque espoir ?


Sans espoir on ne peut pas vivre. Alors je fais le rêve suivant : quand la page du président Nazarbaïev sera tournée, j'aimerais que le Kazakhstan fasse une transition pacifique vers une république parlementaire. Et puis je souhaiterais rassembler des acteurs d'Asie centrale et monter un théâtre politique. Les slogans, les manifs, c'est terminé, passé, usé. Il faut trouver de nouvelles formes de dissidences plus créatives et plus fluides.

Propos recueillis par Flore de Borde

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