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Ahmet Altan, un romancier turc en prison à vie

Entretien avec Guillaume Perrier, journaliste, auteur de Dans la tête de Recep Tayyip Erdogan, Actes Sud.

Où en sont les purges en Turquie ?

Le mot de « purges » est un euphémisme pour évoquer ce qui se passe. Il s’agit d’une reprise en main massive. Ce mouvement a débuté en 2013 et s’est accéléré depuis le coup d’Etat de juillet 2016, car Erdogan s’est senti en danger. Il vise en premier lieu les partisans de Fethullah Gülen, ce prédicateur exilé aux États-Unis et accusé d’être derrière la tentative de coup d’Etat. Mais la cible est devenue beaucoup plus large. Plus de 150 000 personnes ont été limogées de la fonction publique, des dizaines de milliers ont été emprisonnées. Des centaines d’écoles, d’associations, de médias, ont été fermés. Des milliers d'entreprises ont été confisquées par le pouvoir sous prétexte qu’elles finançaient des entreprises terroristes.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

L’état d’urgence a été levé. C’est le résultat de l'élection présidentielle de juin dernier, qui a vu la victoire d’Erdogan. Cela pourrait laisser penser que nous assistons à un assouplissement du pouvoir vis-à-vis de la société civile. En réalité, l’état d’urgence a plutôt été institutionnalisé par le régime présidentiel qu’Erdogan a réussi à imposer. Il gouverne par décrets. Les derniers symboles d’indépendance ont été balayés tout récemment. Ainsi le journal « Cumhuriyet », dont certains journalistes avaient été mis en prison ces dernières années, vient de subir un putsch interne qui balaie les dissidents et démocrates. Le pays ne parle plus que d’une voix. 95% des médias, des institutions, des personnalités publiques font la propagande d’Erdogan. Il ne reste que d’infimes espaces militants, à la marge. Il n’y a plus de juste milieu.


Les adeptes de Fethullah Gülen continuent d’être arrêtés. Des milliers d’entre eux fuient, traversent illégalement les frontières du pays et s’exilent, aux Etats-Unis ou en Europe. Il s’agit d’un exode de masse. Les espaces de résistance de la société civile turque sont extrêmement limités. Les universités jouaient ce rôle. Des centaines d’universitaires qui avaient signé des pétitions pour la paix avec les Kurdes. Ils ont été purgés. Les autres se sont exilés. Les universités ont perdu leur dynamisme. Comme c’est une ligne ultra-nationaliste qui est au pouvoir en Turquie aujourd’hui, la position est très dure sur la question kurde. Aujourd’hui, 70 000 étudiants sont en prison en Turquie. C’est plus que la population carcérale française.

Pourquoi s’en prend-on à des écrivains, notamment Ahmet Altan ?

Altan est un grand romancier populaire. Mais il est surtout un écrivain et un journaliste particulièrement engagé, depuis très longtemps. Son père était un intellectuel, l'un des fondateurs du Parti ouvrier turc dans les années 1960. Ahmet Altan a dû faire face à des dizaines, si ce n’est des centaines de procès politiques de la part des autorités, depuis au moins trente ans. Il a également joué un rôle politique en fondant le quotidien Taraf en 2008. C’était un journal libéral, pro-occidental, critique à la fois du pouvoir de l’armée et des islamistes. Il se retrouve aujourd’hui combattu par les deux camps. Il est maintenant en prison depuis deux ans, il a été condamné à la prison à vie.


Cette sentence sonne comme un avertissement aux écrivains qui défendent la liberté d’expression, comme Asli Erdogan. C’est aussi un avertissement aux pays occidentaux qui les soutiennent.

Vous avez correspondu avec Ahmet Altan. Quelle est son analyse de ce qui est en train de se passer dans son pays ?

Selon ses propres mots, « il se prépare au pire, tout en souhaitant le meilleur ». Il oscille entre des périodes de profond désespoir et des périodes où il espère un changement. Son analyse est qu’Erdogan ne pourra tenir éternellement le pouvoir en tordant le bras à tout le monde. Il y a un moment où il va rencontrer un mur. A quelle échéance ? Avec quelles étapes ? C’est très difficile de le prévoir. Au-delà de la chute de la monnaie, l’économie est en train de s’effondrer. Et comme Erdogan a fait reposer une grande partie de son pouvoir sur la réussite économique du pays et l’émergence d’une classe moyenne, ce rêve d’émancipation économique de la Turquie se fissure. La Turquie est désormais un pays endetté, qui quête auprès du Qatar ou de la Chine. L’indépendance de la Turquie n’est plus qu’un vain mot, elle est de plus en plus isolée. D’autant qu’Erdogan s’est placé lui-même dans une situation de dépendance vis-à-vis de Vladimir Poutine. Tout ceci risque de provoquer un effet boomerang, un jour ou l’autre, sur Erdogan.


Propos recueillis par Michel Eltchaninoff.

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