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« L’Iran est le pays le plus laïc du Moyen-Orient »

A l’occasion des quarante ans de la révolution islamique en Iran, qui a porté les ayatollahs au pouvoir, le philosophe Ramin Jahanbegloo, spécialiste de pensée politique et de non-violence, qui a connu durant quelques mois la prison en 2006, et qui vit et enseigne désormais à New Delhi, nous apporte son éclairage sur les évolutions du régime iranien.



Quarante ans après la révolution, où en est la société iranienne ?


La révolution de 1979 reste un immense événement géopolitique. Par sa dimension religieuse, elle a fortement contribué à la progression de l’islamisme politique partout dans le monde. Ses secousses se font encore sentir, et l’on peut dire que la guerre en Syrie, à laquelle elle participe, ou l’existence de Daech, en sont les derniers rebondissements. En Iran même, elle a été à l’origine d’un profond changement démographique. Au moment de révolution, l’Iran comptait 30 millions d’habitants. Il en compte maintenant plus de 85 millions, dont 65 % ont moins de 35 ans. Ces jeunes sont aujourd’hui des rebelles sans cause. Ils sont atteints de ce que j’appelle le syndrome James Dean. Ils n’ont pas de cause idéologique, comme pouvaient en avoir un peu partout dans le monde les jeunes des années 1950 ou 1960. Mais ce sont tout de même des révoltés, comme on le voit sur les réseaux sociaux. Ils n’ont pas une présence politique dans l’espace public, car celui-ci est totalement monopolisé par l’idéologie islamique. Du coup, beaucoup des 2 millions annuels de diplômés quittent l’Iran.


Existe-t-il de nouvelles formes de dissidence ?


La dissidente est plutôt philosophique et artistique. Elle s’exprime surtout dans le fait de penser autrement — un peu comme cela se faisait dans les pays communistes du bloc de l’Est dans les années 1960-1980 — avec des groupes rock, des tendances artistiques qui vont à l’encontre de l’idéologie officielle. On constate également un désenchantement idéologique, qui rappelle également ce qui se passait dans le camp soviétique dans les années 1980. Les gens ne croyaient plus au communisme. C’est la même chose en Iran. L’Iran (pas au niveau du gouvernement mais au niveau de la société) est le pays le plus laïc, le plus sécularisé du Moyen-Orient !

Fêtera-t-on, dans dis ans, le cinquantième anniversaire de la révolution ?


C’est douteux. Il y a un sentiment de fin de règne en Iran. La révolution est terminée et ne peut pas continuer longtemps sur ses propres principes. Depuis quelques années, elle vit une crise idéologique. Si on l’additionne à la crise économique, à cause des sanctions, et à la crise politique, il est difficile de voir cette révolution continuer. Mais ce n’est pas forcément un régime démocratique qui lui succèdera. Ce ne sont plus les autorités religieuses, mais le corps des Gardiens de la Révolution, organisation militaire, qui tient le pays. Il est tout à fait envisageable qu’à la mort du Guide Suprême actuel, l’ayatollah Khamenei, qui aura 80 ans cette année, on changera la constitution. Ce sera la fin du régime islamique. Mais ce seront peut-être les mêmes qui, avec de nouveaux habits, resteront au pouvoir.


A lire de Ramin Jahanbegloo :


Time will say nothing : a philosopher survives an Iranian prison, University of Regina Press, 2014

Iran: Between Tradition and Modernity, Lexington Press, 2004

Gandhi, Aux sources de la Non-violence, éditions Le Félin, 1998

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