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Pologne : l’inquiétude ...


Andrzej Kompa, 39 ans, enseigne l’histoire ancienne byzantine à la faculté d’histoire et de philosophie de l’université de Łódź en Pologne. Depuis 2015, il dénonce les atteintes à la Constitution commises par le gouvernement actuel. Il y a un an, il a renoncé publiquement aux palmes académiques. A la veille des élections législatives qui se tiennent le 13 octobre, il livre son regard d’universitaire et de citoyen, inquiet pour l’avenir de la Pologne.


© Apolinary Klonowski


Pourquoi avez-vous refusé les palmes académiques ?


J’enseigne à l’université depuis 13 ans. Quand j’ai été nommé pour cette distinction, j’ai eu le sentiment de la mériter. Je consacre ma vie à l’université, j’aime enseigner, je suis passionné par la recherche. L’université est une institution fantastique, un véritable pont qui tisse du lien entre les générations et entre les pays. C’est un lieu de partage, de découvertes, de savoir. Mais lorsque j’ai découvert que le diplôme de ces palmes serait signé par notre Président, je n’ai pas pu l’accepter. Depuis 2015, notre gouvernement bafoue la Constitution polonaise. Il s’attaque au principe de séparation des pouvoirs en mettant notamment la justice sous tutelle. Depuis quatre ans, je descends dans la rue pour défendre notre Constitution, les droits de l’homme, les droits des minorités. Je me bats contre le racisme et la xénophobie. C’était donc juste impossible pour moi.


Cette décision a-t-elle été difficile à prendre ?


Oui et non. Oui, parce que mon univers académique, mes relations avec mes collègues et avec les étudiants, comptent beaucoup pour moi. J’ai tout fait pour séparer ma vie de citoyen, opposant au gouvernement, de mon travail à l’université. Quand j’ai pris conscience que mon refus allait être public, j’ai réalisé que ces ces deux réalités de ma vie allaient se rencontrer. En même temps, cela n’a pas été si difficile. Je ne suis pas le premier à avoir refusé cette distinction. Et l’université de Łódź est encore un important espace de liberté. La veille de la cérémonie, j’étais allé voir le recteur. Je l’avais prévenu de ce que j’allais faire. Il ne m’en a pas empêché, il ne m’a pas blâmé. Les voix contestataires comme la mienne ne sont pas étouffées ou persécutées au quotidien, même si nous pouvons être moqués ou critiqués.


Comment est-ce que cela s’est passé ?


C’était une cérémonie officielle devant 400 personnes. Nous étions une vingtaine à être décorés ce jour là. Je n’ai pas fait de coup d’éclat. Quand le représentant du Président, le Voïevod de Łódź, m’a tendu la médaille, j’ai dit : « non, je suis désolé, je ne peux pas la recevoir. Mais vous donnerez cette lettre ouverte au Président ». Puis je suis retourné à ma place. En fin de journée, je suis allé dans un petit café, j’ai écrit un texte sur les raisons de mon acte. Et je l’ai posté sur Facebook avec une photo de la lettre.


Quelles ont été les conséquences ?


J’ai été très surpris. Mon post a été partagé des milliers de fois. Je n’appartiens à aucun parti, je n’ai jamais fait partie d’une organisation de jeunesse, je n’ai aucune ambition politique personnelle. Mon texte est arrivé dans les rédactions et a été relayé sur internet par des journalistes. Bien sûr, j’ai reçu quelques messages nauséabonds, mais dans l’ensemble les gens m’ont soutenu. Beaucoup m’ont écrit qu’ils admiraient ma lettre ouverte, un texte « élégant » et argumenté sur les principes de notre Constitution. J’ai reçu des montagnes d’emails auxquels malheureusement je n’ai pas pu répondre.


Quand avez-vous commencé à vous opposer ?


J’ai commencé en décembre 2015. J’ai été contacté par le Comité de défense de la démocratie, une association civique qui avait été fondée un mois plus tôt. Le Comité cherchait un historien pour les éclairer sur un certain nombre de sujets et pour intervenir publiquement. C’était juste au début des premières attaques du gouvernement contre l’indépendance de la justice. Je voyais tout cela à la télévision, je me sentais frustré, triste et inutile. J’ai accepté de les rejoindre.


A quoi ressemble votre vie aujourd’hui ?


Je suis l’une des voix principales de la contestation à Łódź. Je rassemble et je suis sollicité car j’ai la chance d’avoir un talent d’orateur, je suis un modéré, et je n’ai aucune ambition politique. J’interviens pour expliquer notre Constitution, l’importance de la séparation des pouvoirs, les droits de l’homme, la défense des LGBT… Je manifeste aussi à Varsovie, ou devant les ambassades de Pologne quand je pars donner des cours ailleurs, notamment en Angleterre et en Irlande. Ma page Facebook est dédiée à mon action politique. Mais je voudrais dire une chose très importante : nous sommes nombreux à nous battre de l’intérieur, je ne suis pas le seul. Je suis un parmi d’autres.


Pourquoi selon vous le PiS continue t-il de remporter les élections ?


C’est une question compliquée. Cette droite populiste n’est pas « ouvertement » antisémite, ni « ouvertement » nationaliste. Mais, elle utilise une rhétorique qui plaît à ces groupes. Son discours est une espèce de mixture empoisonnée qui ne dit pas son nom. En parallèle, elle surfe sur les mécontentements populaires, les laissés pour compte de la transition libérale. Elle a pris des mesures sociales, comme le rétablissement de l’âge de départ de la retraite, elle distribue des allocations familiales et différents types d’aides. De plus en plus de femmes arrêtent de travailler. Et puis, elle a fait main basse sur les médias avec une propagande d’État terrifiante. L’ennemi est partout et nulle part, anamorphique. Un jour, c’est le migrant, un autre jour c’est la théorie du genre. A force, les gens finissent pas croire cette propagande dont ils sont assommés du matin au soir.


Aujourd’hui, je ressens aussi une usure de la population. Les manifestations ne débouchent sur rien. La situation économique du pays est en même temps plutôt positive, il n’y a pas de crise. Alors les gens restent chez eux. Et puis, l’opposition de gauche et du centre est divisée tandis que le gouvernement actuel a fait main basse sur toute la droite.


Vous avez de l’espoir ?


Cette semaine, oui, parce que le prix Nobel de littérature a été accordé à Olga Tokarczuk*. J’en suis extrêmement heureux. C’est une très grande écrivaine, qui a toujours défendu l’opposition, la séparation des pouvoirs, les minorités. J’espère qu’en Pologne nous arriverons à enrayer ce processus de mise au pas des libertés fondamentales. J’ai grandi à l’époque de Solidarność, où tous les espoirs étaient permis. Nous avons les ressources pour inverser la tendance, mais je ne suis juste pas sûr que nous soyons aujourd’hui assez fort pour cela.


Propos recueillis par Flore de Borde


*Cette année, deux prix étaient décernés, à Peter Handke pour 2019 et à Olga Tokarczuk pour 2018.


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