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Ahmet Altan reverra le monde


Copyright Philippe Dupuich

Le 4 novembre dernier, à notre plus grande joie, nous apprenions que le journaliste et écrivain turc Ahmet Altan, emprisonné depuis 2016 et condamné à la prison à perpétuité en 2018, était libéré, sous contrôle judiciaire. Timour Muhidine, spécialiste de littérature turque contemporaine, responsable de la collection "Lettres turques" chez Actes Sud et maître de conférences à l’INALCO, revient sur cette libération.


En quelques mois, Ahmet Altan a été emprisonné à vie puis libéré. Est-ce que vous vous y attendiez ?

Non, j’ai été très surpris, et je ne suis pas le seul. Nous étions nombreux à espérer cette libération, compte tenu de l’âge d’Ahmet Altan et de ces trois dernières années sous les barreaux. Mais nous ne nous y attendions pas aussi tôt. Il faut avouer que, vue de l’extérieur, cette affaire est assez « bizarre ». Comment peut-on en février condamner un homme à vie pour tentative de putsch, en juillet casser la sentence à perpétuité et l’accuser d’avoir « aidé un groupe terroriste » puis en novembre, le condamner à dix ans et demi de prison avant d’ordonner sa remise en liberté sous contrôle judiciaire. Nous avons ici la démonstration que le gouvernement turc reproche tout et n’importe quoi aux intellectuels après avoir déclenché en juillet 2016 un régime de terreur qui devait « briser » les individus. Le but était sans doute d’insuffler la peur et de réduire l’opposition au silence.

Qu’est ce qui, selon vous, a motivé cette libération ?

Deux éléments semblent avoir contribué à cette libération. D’une part un changement de la Constitution turque avec une loi d’amnistie et de réduction de peine pour les prisonniers. De l’autre, une volonté du gouvernement de restaurer son image à l’international. J’ai lu cette semaine dans les journaux turcs que l’un des porte-parole (dont le nom est resté anonyme) du parti AKP a déclaré vouloir changer la mauvaise image du pays dans le monde. Le gouvernement veut se refaire une virginité à l’extérieur.

Il est en revanche important de préciser que c’est une libération sous contrôle judiciaire. Ahmet Altan ne peut pas sortir du pays, il n’a pas récupéré son passeport et il a une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Il peut retourner en prison purger ses dix ans et demi du jour au lendemain.

C’est donc une menace permanente, malgré cette libération …

La grande leçon de ces dernières années en Turquie, c’est que tout est imprévisible. Le coup de massue peut s’abattre n’importe où, n’importe quand. La menace est diffuse. C’est une nouvelle forme d’emprise politique, comme en Russie. Puisque ce sont les réseaux sociaux qui sont avant tout sous surveillance, il suffit d’un écrit, d’une parole et on est arrêté. Mais la limite de ce que l’on peut faire ou pas, n’est pas clairement définie. Il reste très difficile d’agir sur place et il faut beaucoup de talent et de résilience pour lutter de l’intérieur, pour écrire comme Ahmet Altan l’a fait ces derniers mois en prison. Son récit, Je ne reverrai plus le monde, me fait penser aux Récits de la Kolyma de Chalamov que je suis en train de lire. C’est un livre exceptionnel de résistance.

Propos recueillis par Flore de Borde

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