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Asli Erdogan: la persécution sans fin


Asli Erdogan est l’un des écrivains turcs les plus importants – sa renommée est aujourd’hui internationale (sans nul doute à cause de son talent, mais aussi à cause de la persécution qu’elle subit depuis trois ans et demi). En août 2016, quelques semaines après la tentative de coup d’Etat, Asli Erdogan a été arrêtée et incarcérée au motif de sa collaboration au journal Özgür Günden, quotidien soutenant notamment les revendications kurdes. Après quatre mois de détention, elle a été libérée mais sous contrôle judiciaire. En septembre 2017, son passeport lui ayant restitué, elle a quitté son pays pour s’exiler en Allemagne, où elle vit depuis lors. Pour autant, le gouvernement et la justice turcs ne l’ont pas laissée en paix, et son procès, d’audiences en audiences, est toujours en cours.


Le 13 janvier dernier, Asli Erdogan a appris que la prochaine audience était avancée au 14 février. Quelle est la cause de cette accélération ? Le changement de procureur dans l’instruction de son procès serait-il à l’origine ? Cette fois, la peine requise est de deux à neuf ans de prison ; le chef d’accusation : la publication de quatre articles considérés comme des textes de propagande. L’un de ces textes a été publié dans le recueil Le Silence même n’est plus à toi (Actes Sud 2017), et s’intitule Journal du fascisme : aujourd’hui*. Les trois autres textes n’ont pas été traduits en français.


Actuellement, Asli Erdogan est très fragilisée par des soucis de santé ainsi que par les attaques à répétition que lui adresse le gouvernement turc : une campagne de presse et de tweets a été lancée contre elle en octobre dernier. Vraisemblablement, il y a quelques jours, à Genève, une « claque » a été déléguée pour siffler un spectacle inspiré de son livre Le Mandarin miraculeux. Quant au changement de procureur dans l’instruction de son procès, il constitue pour elle un grand motif d’inquiétude – un renversement de situation qui confirmerait un acharnement contre elle. Faisant semblant de l’oublier, la justice turque revient régulièrement à la charge et prouve par là son obsession à poursuivre les intellectuels turcs (journalistes, écrivains, militants des droits humains) ayant fait preuve de solidarité envers les Kurdes.


Asli Erdogan a diffusé le 28 janvier une lettre. Elle nous demande de la soutenir – c’est notre devoir !


Vous pouvez lire également le fameux texte « incriminé », Journal du fascisme : aujourd’hui


Lettre du 28 janvier 2020


« Chers amis, chers collègues,


Comme vous vous en souvenez peut-être, j’ai été arrêtée le 16 août 2016, au prétexte que j’étais membre du symbolique comité consultatif de Özgür Gündem, un journal pro-Kurde, tout à fait légal, en même temps que les deux rédacteurs en chef. Bien que nous ayons été six à faire partie du comité consultatif, seule Necmiye Alpay, linguiste et critique littéraire, a été arrêtée deux semaines après moi. Les chefs d’accusation qui pesaient contre moi étaient « atteinte à l’unité de l’Etat » (réclusion à perpétuité aggravée) et « propagande et appartenance à une organisation terroriste » (jusqu’à quinze ans d’emprisonnement). Au bout de quatre mois et demi, j’ai été libérée mais l’affaire se poursuivait.


On l’a laissée traîner pendant trois ans, le procureur reportant continuellement le procès. Le mois dernier, un nouveau procureur a soudain pris une décision. Il a demandé que les rédacteurs en chef, ainsi qu’Eren Keskin, Président de l’Association des Droits Humains et ancien rédacteur en chef soient jugés pour avoir été membres du PKK (jusqu’à 15 ans d’emprisonnement). Il a aussi demandé une peine de prison de 2 à 9 ans pour moi, pour quatre articles que j’ai écrits, disant qu’il s’agissait de propagande.


Le plus absurde est que ces articles ont été publiés en 2016 et qu’ils n’ont alors suscité ni procès ni même une enquête. En fait aucun de mes articles dans toute ma carrière n’a jamais entraîné de procès. L’un d’eux est un monologue intérieur, un texte en prose intitulé, Journal du fascisme : aujourd’hui. Il n’y a presque rien de politique dans ce texte, il est tout à fait abstrait et ne fait référence ni à un lieu ni à une époque. Il s’agit d’une description littéraire de la destruction intérieure d’un individu sous un régime autoritaire ainsi que du lourd poids qu’implique d’être témoin. En fait cet article a été inclus dans Le silence même n’est plus à toi et a été publié par plusieurs éditeurs dont Actes Sud, Penguin Knaus, Gyldendal, Ramus et Potamos notamment. Le livre a été récompensé par plusieurs prix littéraires.


Maintenant les éditeurs de plus de douze maisons d’édition, ainsi que plusieurs membres appartenant à des jurys littéraires sont indirectement tenus responsables de propagande terroriste. Le procureur affirme que j’ai fait des commentaires sur des « civils assassinés », alors qu’aucun « civil » n’a jamais été assassiné et que donc j’essaie de représenter les membres du PKK assassinés comme des « civils », en conséquence de quoi je fais de la propagande, etc. Je suis certaine que ces éditeurs ne savent même pas pour quelle organisation ils sont censés avoir fait de la propagande !


Mais l’attaque contre mon œuvre littéraire ne s’arrête pas là. L’un des articles qui figure dans mon dossier s’intitule « Le plus cruel des mois : avril », en référence à T.S Eliot. Il décrit la mort d’un chien errant dans une ville entièrement en ruines. Étrangement, aucun des articles où je décris comment des civils ont été effectivement massacrés ne figure dans le dossier.


Le procès est pour très bientôt, avant qu’aucune vraie solidarité ou réaction forte n’ait le temps de s’organiser : le 14 février, jour de la Saint-Valentin.


J’en appelle instamment à vous pour que vous protestiez contre ce qui attaque très gravement la liberté d’opinion, d’expression et bien plus… La Turquie a lancé une guerre totale contre les Droits Humains, la littérature et pire encore, la CONSCIENCE, par son insistance à me poursuivre.


Mes salutations,


Asli Erdogan


Texte traduit par Cécile Oumhani, membre du PEN français et du Parlement des Écrivaines Francophones.



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