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« Ce qui indigne aujourd’hui, c’est la corruption massive des dirigeants … »


Cécile Vaissié, professeur des universités en études russes et soviétiques à l’Université de Rennes-II a consacré sa thèse aux dissidents russes. En 2016, elle a publié l'ouvrage Les réseaux du Kremlin en France, puis l'année dernière Le clan Mikhalkov. Culture et pouvoirs en Russie (1917-2017). Elle nous donne cette semaine son éclairage sur la dissidence en Russie.

Vous avez soutenu il y a 20 ans une thèse sur les dissidents russes. Quelle était votre motivation à l'époque ?

Le combat de gens, tels que Vladimir Boukovski ou Andreï Sakharov, m’a toujours paru digne du plus grand respect : ils s’engageaient pour que leurs compatriotes aient davantage de droits et de libertés. Mais alors qu’ils ont largement modifié l’image de l’URSS en Occident, très peu de travaux existaient sur eux, en tant que mouvement. En outre, la Russie paraissait, à l’époque, rompre avec son passé autoritaire et totalitaire, mais les dissidents n’étaient pas à la tête du pays, contrairement à ce qui s’observait en Pologne et en Tchécoslovaquie, et ils ne voulaient pas y être.

Pour quelle raison ?

En fait, il s’est avéré que, dans la culture de l’intelligentsia russe, notamment dissidente, le pouvoir est connoté de façon très négative, de même que le désir de s’en rapprocher. Sakharov, par exemple, a été très critiqué par ses proches quand il a accepté de devenir député au Congrès des députés du peuple en 1989 : lui voulait faire avancer le système de l’intérieur, mais il était une exception à choisir cette démarche.

Quelle définition donnez-vous de la dissidence ?

Ce terme est utilisé de façon très large, y compris par certains, dans l’extrême-droite française, qui n’ont strictement rien à voir avec les dissidents russes. Ceux-ci se définissaient comme un mouvement éthique, et non politique, et s’engageaient pour les droits de l’homme et la défense de personnes victimes de répressions. Ils agissaient dans le respect de trois principes : la non-violence ; le respect des lois et des engagements internationaux que l’URSS violait très souvent ; la transparence.

Où en est la dissidence aujourd'hui en Russie ? Comment s'exprime-t-elle ? Qui sont ses voix ? Quelles sont les différences avec "l'ancienne" ?

On voit ré-émerger, en Russie, une opposition qui présente des traits communs avec la dissidence de l’époque soviétique. Elle aussi manifeste sa solidarité pour les prisonniers politiques et appelle à respecter la loi. En outre, beaucoup se penchent de nouveau sur les violences soviétiques pour exorciser ces traumatismes, à la fois intimes et collectifs. Mais ce qui indigne aujourd’hui, et existait moins en URSS, c’est la corruption massive des dirigeants à des niveaux différents. Elle mobilise notamment, autour d’Alexeï Navalny, des moins de trente ans, qui peuvent voyager et voir ce qui se passe ailleurs.

Comment analysez-vous le projet de réforme constitutionnelle annoncé par Poutine mi-janvier ?

Une réforme constitutionnelle était attendue, mais ce qui étonne, c’est le moment choisi, ainsi que la hâte avec laquelle ce projet est mené. Tel quel, il inclut des éléments séduisants – l’augmentation des retraites – et d’autres dangereux pour la société russe : la primauté du droit russe sur le droit international. Rappelons que c’est de Russie que vient actuellement le maximum de plaintes à la Cour européenne des droits de l’homme[1]. Sinon, les dirigeants russes interprètent, de toute façon, la loi à leur guise…

Pensez-vous qu’il puisse faire l'objet d'une opposition dans le pays ?

Il y a eu une sorte de sidération dans les cercles les plus intellectuels du pays : beaucoup comprennent que cette réforme annonce des restrictions accrues de leurs droits. Je vois circuler des protestations, par exemple un Manifeste[2] qui, en une semaine, a réuni plus de 40 000 signatures, celles de politologues, de chercheurs, de journalistes, etc. Mais je doute que cette démarche mobilise fortement hors de ces cercles.

Propos recueillis par Flore de Borde

[1] https://www.courrierinternational.com/article/justice-la-russie-detient-le-record-de-plaintes-la-cour-europeenne-des-droits-de-lhomme.

[2] https://net2020.ru/?fbclid=IwAR3tfPXe6shWWl3XG19jlPPYJXlHn2QA-tkc2lc5PMxY4o4zzDx15Ntw1WE/

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