Se protéger contre le Covid19, un acte de dissidence en Bélarus ?
Il existe un pays où la pandémie de Covid-19 est considérée comme une “psychose mondiale” par son dirigeant, le dernier dictateur d’Europe, le corona-sceptique Aleksandre Loukachenko. C'est le Bélarus. Les écoles sont ouvertes, les événements sportifs continuent, les commémorations se succèdent. Pourtant, le virus fait des ravages dans les hôpitaux. Alors, à défaut de l'Etat, ce sont les citoyens qui organisent leur protection et celle de la société : certains se mettent en quarantaine, d'autres n’envoient plus leurs enfants à l'école, ou encore commandent des masques, mettent en place des gestes barrières au travail. Le mouvement citoyen #bycovid19 est l'un des premiers à avoir lancé la mobilisation pour aider les médecins, les équiper en matériel de protection. Nous avons interviewé Andrej Strizhak, qui en est l'un des initiateurs.
Pourquoi avez vous commencé à réagir ? Qu'est-ce qui a déclenché votre action ?
Je fais du volontariat depuis longtemps. Ce qui m’a poussé à agir c’était le post facebook de Maxime Otcheretni, médecin en chef de l'hôpital pour enfants numéro 3. Dans ce post, le 21 mars, il appelait les Bélarusses à rester chez eux et à se confiner pour que lui, médecin, puisse travailler. A partir de ce moment là, j’ai décidé de me renseigner. Ce médecin avait-il tout ce qu’il lui fallait pour travailler ? J’ai ainsi découvert qu’il y avait une grande pénurie de masques de type FFP3. J’ai essayé d'en trouver et j’ai compris que cela serait très compliqué. J’ai finalement réussi et j'ai pu fournir 300 masques FFP3 à l'hôpital. Parallèlement, mon ami Andrej Tkatchev a lancé une collecte de dons pour l’achat de matériel de protection pour les soignants et cette campagne a rencontré un immense succès. Nous avons donc décidé de réunir nos forces pour mieux travailler sur la recherche de matériel de protection pour les médecins.
Avez vous eu des problèmes avec l’administration, les pouvoirs en place ? Ou subi des pressions ?
Le problème au sujet du matériel de protection est si global dans le pays que nous travaillons sans difficulté avec les structures médicales. Il existe une nécessité de protection ici et maintenant. Les médecins manquent de tout. Et je pense que c’est la raison pour laquelle ils échangent librement avec nous et acceptent volontiers notre aide.
Nous ne rencontrons donc aucun obstacle, ni aucune résistance. Nous travaillons au cas par cas, avec tel chef de service, tel administrateur local. Ce sont toujours des personnes différentes, chacune avec son tempérament, son expérience, son âge, son approche. Bien sûr, il y a des nuances, des spécificités, mais il n’y a pas d’interdiction directe et claire de travailler avec des bénévoles.
A votre avis, l’information officielle sur la propagation du virus dans le pays correspond-t-elle à la réalité ?
Je ne suis pas epidémiologiste, et je ne peux pas dire si cette information est conforme ou non à la réalité. Ce que je peux dire avec certitude c'est que ces dernières semaines le Ministère de la Santé a changé sa méthode d’information concernant le nombre de malades. Il utilisait une méthode de calcul “maison” pour comptabiliser les personnes contaminées et guéries. Les journalistes, en réponse à ces calculs, qui était trop compliqués à comprendre, donnaient des statistiques erronées, que le Ministère de la santé ensuite contestait. La situation n’était claire pour personne et l'ambiance très tendue. Maintenant le ministère donne des chiffres au format de l’OMS : combien de malades, combien de guéris, combien de morts. On comprend mieux ces chiffres, c’est plus clair. Mais la situation actuelle dans tous les pays reste complexe et il est difficile de dire combien de gens sont réellement malades, car la maladie peut être asymptomatique. Je ne dirai donc pas que le Ministère de la Santé cache quelque chose, mais la réalité de l'épidémie n'est pas simple, comme partout dans le monde.
Qui répond à "votre" appel ? Qui sont les gens qui participent au #bycovid19 ?
Des gens très différents. Des ouvriers, des fonctionnaires, des chefs d'entreprise, des médecins. J’ai appris que l’université d’Etat, l'Académie Médicale Supérieure a ouvert sa plateforme internet sur laquelle les médecins de tout le pays peuvent avoir une "consultation" à distance à propos de traitement de Covid-19 et des complications qu’il provoque. Ils ont intégré leur lien vers notre site, ce qui a été absolument inattendu pour nous. Ceci illustre bien le fait que médecins et chercheurs sont conscients que nous devons unir nos forces. C’est fantastique à voir !
Et personnellement je travaille avec une équipe de rêve ! Les personnes qui constituent la colonne vertébrale de notre groupe de bénévoles, sont des spécialistes dans les domaines du numérique, des affaires, de la comptabilité, de la communication et des médias. C’est un groupe de superhéros, qui peut travailler 12 à 14 heures par jour pour fournir à nos médecins le matériel nécessaire. Je suis moi-même surpris par cette capacité de travail. Par exemple, un matin j’ai reçu l’information qu’on pouvait acheter 10 unités de concentrateurs d'oxygène, pour augmenter le niveau d'oxygène des patients. Un concentrateur d'oxygène coûte approximativement 1000$. Nous avons commencé à travailler sur cette question et le soir même ils étaient livrés dans les hôpitaux de Minsk et étaient en route pour les hôpitaux de la région de Vitebsk. Cela veut dire qu’en une seule journée nous avons accompli tout le processus logistique. C’est un bel exemple du travail que nous arrivons à accomplir et de son intensité.
À ce jour :
Les bénévoles de ByCovid19 ont réussi à donner aux hôpitaux partout en Bélarus : 55 000 masques médicaux de tous types, 10 concentrateurs d'oxygène, plus de 300 oxymètres, plus de 100 thermomètres frontaux, 3 tonnes de tissu médical pour fabrication de combinaisons de protection. Ils ont coordonné des initiatives solidaires de repas pour les médecins, une plateforme de fabrication des écrans de protection, créé un centre logistique, juridique et de coordination de bénévoles ainsi qu'une cellule d’aide psychologique aux médecins qui est en train de voir le jour. Pour en savoir plus : https://bycovid19.com/eng/
Propos recueillis par Alice Syrakvash