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A Dacca, la dissidence « sur la route »

Copyright Nazmul Zico


Mahajabin Khan est une jeune femme ordinaire qui vit et travaille à Dacca, et reste fidèle à sa passion - la peinture. Depuis 2015, elle traverse cette ville-fourmilière du sud au nord à moto, en dépit de regards malveillants et stupéfaits des habitants. Au Bangladesh, conduire une moto est une pratique strictement réservée aux hommes et les femmes ne sont pas les bienvenues. Mahajabin nous a raconté comment son combat solitaire est devenu un défi, lancé à toute la société de son pays.


Que signifie être une femme au Bangladesh ?

Dans notre société, les rôles sont répartis entre les hommes et les femmes. L’espace des femmes est centré autour du foyer, même si elles sont souvent brillantes dans leurs études. Les familles essaient de donner la meilleure éducation à leurs filles mais pour qu’elles puissent bien se marier. Celles qui travaillent, doivent généralement arrêter assez vite à cause de la pression sociétale, familiale ou même parfois de leur employeur qui ne leur donne pas de congés maternité. Les croyances culturelles et religieuses persistent, selon lesquelles la femme doit rester à l’intérieur de la maison et s’occuper de sa famille. En plus, la société attend d’une famille d’avoir au moins un fils. Dans ma famille, j’étais le troisième et le dernier enfant. Malgré la déception de certains, mon père a mis tous les moyens pour que ses trois filles réussissent dans la vie. Je ne sais pas comment mes parents ont eu cette ouverture d’esprit, mais ils étaient convaincus que l’éducation est primordiale. L’heure du mariage arrivant très tôt au Bangladesh, j’ai pris la poudre d’escampette ! Car je rêvais d’autre chose. D’un vélo !


Comment le vélo est devenu votre première expression de résistance ?

Il faut comprendre qu’au Bangladesh, ce sont uniquement les garçons qui font du vélo. Le vélo, c’est un truc des hommes. J’ai supplié mon cousin de me prêter le sien et j’ai appris toute seule à bien faire les virages. Mon père refusait catégoriquement de m’en acheter, sous prétexte que c’est dangereux pour une fille. Maintenant, je regrette de ne pas avoir posé la question « pourquoi c’est dangereux pour une fille faire du vélo ? ». Toutes mes demandes ont été vaines, même quand j’ai rejoint les bancs de l’Université. Je causais beaucoup de soucis à ma famille à cette époque. Pour aller en cours, j’empruntais souvent le vélo d’une de mes amies, sur tout le campus nous étions seulement deux ou trois filles à en faire. Un argument de plus pour mon père, qui ne comprenait pas pourquoi je ne prenais pas les transports publics comme toutes les filles normales. J’ai laissé tomber l’idée de lui faire comprendre, j’ai trouvé un emploi et avec mes premières économies, je me suis acheté mon propre vélo ! Je me souviens toujours de ce jour, c’était en 2012. Il faut imaginer ce sentiment de liberté, j’ai presque pleuré de bonheur quand je suis rentrée chez moi le soir-même.


Et faire de la moto, c’est une pratique interdite ?

Quelques années plus tard, j’ai changé de travail et mon nouveau bureau était à l’autre bout de la ville. Mon vélo ne remplissait plus son rôle et je passais donc ma vie dans les embouteillages, en parcourant 12 km en 1h30 dans un bus bondé. En plus, beaucoup de femmes à Dacca font face au harcèlement dans les transports publics. C’était le moment de basculement. Si je peux faire du vélo, pourquoi ne pas faire de la moto ? Grâce au soutien de mon partenaire, j’ai pu acheter une moto toute neuve. Mais là, j’ai touché à quelque chose d’interdit.

C’est à ce moment que les insultes, les commentaires sur mon physique ou mes vêtements ont commencé à déferler. « Quel est ton prix ? Tu utilises de l’huile ou du gaz ? ». Sur la route, on m’intimidait, les bus s’approchaient tout près de ma moto pour me faire tomber ou me faire vaciller. Et cela m’est arrivé de nombreuses fois. Les gens cherchaient à me voir échouer. D’où vient cette hostilité de la part des hommes, pourquoi ? J’ai commencé à me cacher sous un tas d’écharpes pour moins attirer l’attention jusqu’à un jour quand j’ai compris que le problème n’était pas moi, mais eux.



Un défi lancé ?

Il y a encore six ans, sur 200 motos conduites par les hommes j’étais la seule femme. Leurs regards se posaient sur moi, ils étaient pesants et gênants, mais moi aussi j’ai eu le droit d’être là. Que cela leur plaise ou non, je me suis dit que je ne lâcherai pas. D’abord – toute seule, et ensuite peut-être à deux ou trois. Les chiffres sont ridicules, mais c’est une vraie avancée et je crois que les autres femmes vont s’y mettre. Je reçois beaucoup d’encouragements de la part des femmes, dans les bus ou sur les trottoirs, elles me font un signe de soutien. Cela me donne de la force à continuer. Les hommes aussi changent leur perception. Un jour sur la route, j’ai entendu un Monsieur qui parlait à sa fille assise sur la banquette arrière « Un jour, ma fille, tu seras grande comme cette dame et tu vas aussi conduire la moto ! – C’est vrai papa !? – Et pourquoi pas ! ».


Propos recueillis par Maryna Shcherbyna




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