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Hamida Aman : “Nous sommes là pour donner de l’espoir aux Afghanes”

Interview avec Hamida Aman, fondatrice et présidente de l’ONG Begum Organization for Women. 


Journaliste et entrepreneure engagée, Hamida Aman est une figure emblématique de la diaspora afghane en Europe. Aujourd’hui, elle vit entre Paris et Kaboul et dirige plusieurs projets visant à soutenir des femmes afghanes et à leur fournir un accès à l'éducation et à la formation. Nous nous sommes retrouvées dans le bureau de Begum Organization for Women à Paris pour discuter de ses motivations, de la situation en Afghanistan et des espoirs perdus.




Quelle est la situation actuelle en Afghanistan et plus particulièrement celle des femmes ? 


Depuis l'arrivée au pouvoir des Talibans, la vie des femmes est considérablement contrainte et tout est fait pour les maintenir confinées entre quatre murs. La liste des interdictions est longue : l'accès à l'éducation, au travail, aux espaces publics, aux parcs, au sport, ainsi qu'aux hammams et aux bains publics.


La vie continue malgré tout, mais ce qui est frappant, c'est que les gens ont perdu l’espoir. L'Afghanistan est un pays d'instabilité et de conflits interminables. Les habitants pensent que la vie consiste simplement à naître, survivre dans la souffrance et la misère, puis mourir. Cette perception a transformé le pays en un endroit où il est devenu difficile d'imaginer un avenir pour ses enfants. La lassitude règne, personne ne croit en un changement positif, et tout le monde souhaite partir. 


C’est terrible mais on ne peut pas vider le pays de ses 30 millions d’habitants. Il ne faut pas oublier la crise économique terrible qui fragilise la population en ce moment, et les femmes sont toujours les premières à en payer le prix. Justement nos actions sont adressées à celles et ceux qui ne peuvent pas partir, qui n'ont pas cette possibilité, afin de permettre aux femmes et aux enfants de continuer à étudier. Car peut-être qu'un jour ce régime ne sera plus là, et il est essentiel d'être prêts à les soutenir jusqu'à ce que ce moment arrive.


Votre famille a quitté l’Afghanistan pour trouver refuge en Europe alors que vous étiez enfant. Comment avez-vous retrouvé le lien avec votre pays d’origine ? 


J’ai quitté l’Afghanistan à l’âge de 8 ans et j’y suis retournée vingt ans plus tard. Je suis partie pour la première fois en 2002 en tant que journaliste pour couvrir la libération de Kaboul et le retrait des Talibans. À ce moment, je me suis enfin sentie légitime d’être là. J’ai réalisé que mon pays d’origine avait plus besoin de moi que mon pays d'accueil, la Suisse. Ici, je ne suis qu'une personne parmi tant d'autres alors qu’en travaillant en Afghanistan, je faisais vraiment la différence. En vérité, je n’avais jamais oublié mon pays, j’ai toujours gardé ce désir d’y retourner depuis que je suis enfant. Le travail que je faisais là-bas avait tellement de sens qu'il était impossible pour moi de rentrer en Europe. Au début, je suis partie pour quelques mois, mais finalement, je suis restée plus de 20 ans.



Au cours de ces années en Afghanistan, vous avez assisté à la fin du premier régime taliban, à l'arrivée de la coalition, à la reconstruction, à l'instabilité et à l'arrivée d'un nouveau gouvernement taliban. L’évolution de la société afghane se déroulait devant vos yeux ? 


Oui, au fil des années j’ai vu la société afghane se métamorphoser, changer. Je suis arrivée en Afghanistan en 2002 et ce que j’ai vu m’a tellement troublée. Les gens avaient un niveau de vie probablement plus déplorable que maintenant, en tout cas très difficile. La capitale était en ruines. Imaginez, il n'y avait quasiment pas de téléphones fixes dans les années 1990 et nous sommes tout de suite passés aux portables et ensuite aux smartphones. L’Afghanistan a dû rattraper le progrès technologique très rapidement. En même temps, par rapport à aujourd'hui, le début des années 2000 était empreint d'espoir. On croyait que les pires années étaient derrière nous et que nous pourrions enfin respirer, reconstruire et aspirer à la paix. Après vingt ans de développement, la société et la jeunesse ont connu d'énormes changements, tant du côté des femmes que des hommes. 


En 2021, les femmes qui travaillaient ou poursuivaient leurs études ont vu leur vie s'arrêter du jour au lendemain. Le pays est durement touché par une crise économique sans précédent, en grande partie à cause de la prise de pouvoir des Talibans, mais également en raison de l'arrêt soudain du soutien de la communauté internationale. Le simple fait que ces restrictions deviennent progressivement la norme est un risque réel. Il est devenu habituel de ne plus voir de filles dans les écoles ou les universités. Les femmes travaillent de moins en moins et sont de plus en plus absentes de l'espace public, et cette situation commence à être acceptée. En général, la société afghane se montre extrêmement sévère envers les femmes, avec un système patriarcal profondément enraciné qui crée une division sociale marquée, illustrant ainsi une société à deux vitesses. 


D’un côté, la population urbaine ne peut pas accepter ce retour en arrière mais en même temps il n’y a pas de voix dissidentes audibles à l’intérieur du pays. Peu sont ceux qui prennent des risques, ils sont tout de suite emprisonnés ou réduits en silence. Le pouvoir est partout et fait tellement peur que ça ne laisse de place à rien d’autre. A l’heure actuelle, les femmes en Afghanistan sont privées d’université et leur éducation s’arrête à l’âge de 12 ans. Une exception existe pour la profession de sage-femme, où les femmes sont autorisées à suivre une formation. Cette mesure a été mise en place récemment, quand les autorités ont enfin compris qu’il y a un manque criant de femmes dans le milieu médical. Quant au travail, il est encore possible d’exercer certains métiers dans le privé sous certaines conditions, et uniquement dans les villes.  


Comment vos équipes parviennent-elles à travailler dans le pays? 


Nous sommes enregistrés en Afghanistan en tant que radio FM qui fonctionne de manière tout à fait légale. Nous couvrons des sujets quotidiens qui touchent à la vie des femmes. L’une de nos émissions les plus populaires est consacrée au soutien psychologique, diffusée durant deux heures quotidiennement. Les femmes nous appellent souvent pour parler de leurs soucis, comme la dépression ou les violences domestiques. Nous avons également une émission sur la nutrition ou encore la santé féminine, et aussi un programme théologique qui explique les droits des femmes selon l’islam. Cela aide les femmes à mieux connaître leurs droits, en cas de divorce par exemple pour gérer la séparation des biens. Pour nous, c’est aussi une manière d’armer les femmes et de partager cette connaissance, car typiquement du point de vue de la charia, tout est codifié, tout est écrit mais souvent mal appliqué. 


A Kaboul, nous avons 25 femmes qui font tourner la radio avec des correspondants dans les provinces. Ici, l’organisation sœur en France a lancé Begum Academy, une plateforme qui propose des cours en ligne, et Begum TV, une chaîne télévisée satellite qui utilise ce contenu avec des vidéos complémentaires et des programmes éducatifs. Nous sommes en train de développer une application mobile pour utiliser ce contenu hors-ligne. Nous souhaitons mettre en place des certificats que les utilisatrices peuvent obtenir en passant des examens en ligne pour ainsi avoir une preuve écrite des compétences acquises. 


Nombreux sont ceux qui ne voient aucune perspective de développement pour l'Afghanistan. Pour vous, tout n’est pas perdu ? 


En tant que femme et mère, je ne pouvais pas rester insensible à ce qu’on fait subir à nos enfants et à nos sœurs en Afghanistan. Je me sens légitime dans mon droit de dire non à ce qui se passe actuellement. On verra combien de temps ça durera mais cela fait presque trois ans que le projet de radio Begum perdure et la confiance avec nos audiences s’est installée. 


J’ai créé une entreprise, j’ai créé des emplois, j’ai formé des jeunes et avec tout le travail que je mène actuellement, j’ai envie de transmettre cette force aux autres. Après avoir vécu 20 ans en Afghanistan, j’ai encore l’impression d’avoir plus reçu de la part de mon pays que d’avoir donné. Pour moi, c’est normal de continuer le combat, de ne pas être là que quand les choses vont bien, mais aussi quand ça va mal. 


Le découragement est bien là, ces femmes se demandent "quel est le but de tout cela, cette vie a-t-elle un sens?". Mais moi je dis que cette situation ne va pas durer et en attendant, nous canalisons ces émotions négatives vécues par ces femmes en quelque chose de plus constructif comme l’éducation, car leur avenir se construit aujourd’hui. On ne remplacera jamais l’école, mais au moins on est là pour soutenir ces femmes et leur redonner de l’espoir. Comme on dit, rien ne dure en Afghanistan. Il faut serrer les dents et tenir bon. 




Propos recueillis par Maryna Shcherbyna. 

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