Sasha Lavut : un régime de terreur va s’installer en Russie
Jeune dissident russe de 18 ans, Sasha Lavut est exilé en France depuis deux ans. Depuis l’âge de treize ans, il a participé à toutes les manifestations contre le pouvoir russe et s’est opposé à la guerre. Suivi par des milliers de personnes sur les réseaux sociaux, il est l’un de ceux qui animaient la nouvelle dissidence russe. Il décrypte pour nous ce qui se joue dans la Russie d’après Navalny, à quelques jours des élections présidentielles russes.
Est-ce que le nombre de gens présents à l’enterrement de Navalny était un nombre important dans la Russie d’aujourd’hui ou finalement représente-t-il peu de personnes ?
D’après les estimations, des dizaines de milliers de personnes sont venues honorer la mémoire de Navalny pendant trois jours continus, non seulement à Moscou mais aussi dans une trentaine de villes en Russie. Dans un pays libre, ce chiffre peut sembler faible, mais dans la Russie actuelle, c’est énorme. Cela prouve que même dans une dictature très brutale, comme l’est aujourd’hui la Russie de Poutine, les gens arrivent à se mobiliser pour dire ouvertement qu’on ne peut pas tuer impunément dans le silence. Il y a bien une forme d’opposition, des groupes de personnes qui restent une force vive dans le pays malgré le départ à l'étranger de milliers de Russes depuis le début de la guerre. Nous avons également vu, dans le monde entier, les hommages qui lui ont été rendus par ces exilés Russes.
Qui soutient Navalny aujourd’hui et quel est son héritage ?
Les soutiens de Navalny sont essentiellement la classe moyenne et les jeunes.
Mais Navalny avait réveillé non seulement les gens des grandes villes mais aussi ceux régions. Il sillonnait le pays et a également construit son électorat sur le peuple, en diversifiant ses soutiens.
Son héritage est triple. D’abord, il a expliqué, montré, prouvé que chacun à un rôle à jouer pour dénoncer la corruption des fonctionnaires, pour faire entendre sa voix, pour agir. Il a ensuite donné, pour la première fois, une vie politique de rue aux Russes qui n’avaient jamais vraiment vécu cette expérience auparavant. Enfin, il a semé le goût de la liberté dans le corps et l’esprit de ma génération. Nous n’oublierons jamais cette relative liberté.
Est-ce qu’une relève est possible, notamment chez les jeunes ?
Nous avons une fenêtre de 10 ans pour agir et c’est sur nos épaules que repose la relève. La génération des plus anciens revit la peur et le passé soviétique. Et les plus jeunes sont en train d’être formatés par la propagande et les nouveaux programmes scolaires. Ce n’est donc pas un hasard, si Poutine envoie ma génération se faire tuer sur le front. Cette guerre a aussi ce rôle, celui de nous replonger dans un passé impérialiste et soviétique que ma génération n’a pas connu et qu’elle commençait à oublier. Elle a pour but de nous priver d’un avenir démocratique. L’avenir est sombre mais il restera des gens qui n’oublieront pas et pourront encore agir de l’intérieur et de l’extérieur.
Est-ce que Ioulia Navalnaïa la femme d’Alexeï Navalny, qui a annoncé poursuivre le combat, peut avoir une réelle influence dans le pays ?
Ioulia Navalnaïa est un personnage classique de tragédie grecque, son mari a été tué et elle veut poursuivre son combat et sa mémoire, le venger de ceux qui l’ont tué. Maintenant que Navalny est mort, elle est libre de dire ce qu’elle pense, ce qu’elle ne pouvait pas faire avant. Mais elle vit en exil, aux États-Unis, et malgré les réseaux sociaux, elle a peu d’outils à sa disposition pour être influente dans le pays. Elle n’a pas d’expérience politique personnelle et elle ne remplacera jamais Alexeï qui était unique. En revanche, elle devient, comme la Bélarusse Svetlana Tsikhanovskaïa -en exil en Lituanie-, le symbole d’une autre Russie, non seulement pour les équipes de Navalny et ses soutiens, mais aussi auprès des instances européennes et internationales.
Ioulia Navalnaïa a appelé les Russes à voter « contre » Poutine en se rendant tous aux urnes à midi. Cet appel sera-t-il suivi, les gens vont-ils réagir ?
Depuis que la répression s’abat sur le pays et déjà avant la mort de Navalny, l’état d’esprit n’est plus à l’action. La mort de Navalny met un point final à un cycle de vie politique en Russie, c’est la dépression. La Russie de Navalny et celle de Nemtsov est morte selon moi. Nous entrons dans une nouvelle époque, avec une nouvelle société. Il y a l’espoir d’un nouvel espace, de nouveaux leaders, mais plus rien ne sera comme avant.
Quant à l’action de se rendre aux urnes à midi, les gens verront combien ils sont. Ces élections montreront sans doute ce nouveau visage et la forme qu’il prendra. Les élections sont un moment rare pour exprimer son avis. Le but n’est pas de gagner contre Poutine, les résultats sont connus d’avance, le but est juste de voter contre Poutine. Et même si Poutine est réélu avec 80% des voix en truquant les élections, si les gens se rendent compte, en parlant les uns avec les autres que personne autour d’eux n’a voté pour lui (comme ce fut le cas au Bélarus avec le dictateur Loukachenko), cela signifiera qu’une force sourde et souterraine est là. Le fait même de falsifier les élections sera la preuve que le peuple est une menace pour le gouvernement en place.
Que va-t-il se passer en Russie après les élections ?
Poutine a besoin de voir si le peuple est loyal et il aura les mains libres pour deux choses : pour faire une mobilisation militaire à grande échelle et pour réprimer en masse. Il y aura des centaines de nouveaux prisonniers politiques et de nouvelles personnes et structures qui seront estampillées « agent de l’étranger ». La mort de Navalny signe ouvertement l’avènement d’un régime de terreur.
Propos recueillis par Flore de Borde
Visuel : @Lavut
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