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Supporter

Cher Oleg Sentsov,


La dernière fois que je t'ai vu, tu étais rayonnant aux confins du malheur. Farceur, rieur, gaillard, provocateur, sûr de tes moyens et de ta cause. Faisant la nique aux puissants et n'hésitant pas à contester publiquement leurs mensonges. La dernière fois que je t'ai vu, tu m'as semblé solaire. Éclatant de force et de vitalité. De courage. Tu m'as conforté dans l'idée que la création – le cinéma, la littérature, ou toute autre forme de contestation de la réalité – est une question de santé.


Oui, mais la dernière fois que je t'ai vu, c'était en février, sur l'écran d'un cinéma parisien, lors d'une soirée organisée par France Culture, le festival Un Week-end à l’Est et les Nouveaux Dissidents – une soirée de soutien en somme –, dans un documentaire politique de l'Ouzbek Askold Kurov tourné en 2015 et intitulé The trial, the State of Russia vs Oleg Sentsov. On t'y voyait dans une salle de tribunal de Rostov-Don, au sud-ouest de la Russie, en cage, enragé, répondant devant un parterre de figurants aux accusations que l'Etat russe te porte, à toi, le cinéaste ukrainien de Crimée : la préparation d'actes terroristes sur ton sol natal annexé – la conspiration terroriste, un classique, l'arme fatale de toute accusation politique. A la fin du documentaire, le verdict de cette mascarade tombait : le tarif, pour toi, ce serait 20 ans en Sibérie.


Aujourd'hui, tu n'es pas en Sibérie, mais dans un bagne de la péninsule de Iamal, dans le cercle polaire arctique. C'est ton 48e jour de grève de la faim et tu risques de crever. On a volé ta liberté, c'est ton ultime manière de le hurler et de le refuser. Tu viens d'une partie du monde où l'on aime les farces, mais là ce n'est plus drôle. Le 15 juillet, jour de la finale de la coupe du monde de football à Moscou, tu en seras à ton 62e jour de grève de la faim. Tiendras-tu jusque-là ou seras-tu mort ? Le tsar est bien muet te concernant, négligeable moujik pris entre les griffes du sadisme d'Etat. La diplomatie du foot mondial l'est également, tragiquement muette, indigne, avec ses diplomates et ses prélats de circonstance, avec ses ambassadeurs minuscules ou majuscules dont un seul mot ou presque pourrait te sauver la vie.


En français, le verbe « supporter » s'écrit comme le nom anglais « supporter ».

Oleg, nous sommes tes supporters, suspendus à l'espoir d'un signe de clémence qui ferait cesser le compte à rebours fatal que tu as enclenché.

Car cela, on ne peut le supporter.


Frédéric Ciriez



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