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La démocratie est le fruit d'une exigence qui ne finit jamais



Les droits de l’Homme sont en crise. Bafoués partout, ils sont désormais contestés, considérés comme hypocrites, inopérants, trop abstraits pour s’incarner dans les sociétés. Et ce rejet n’est pas réservé aux régimes autoritaires. On le constate jusque dans nos démocraties. Pour comprendre pourquoi cette tendance anti-droits de l’Homme est dangereuse, il faut lire l’ouvrage de Monique Chemillier-Gendreau, Régression de la démocratie et déchaînement de la violence, paru en septembre 2019 aux éditions Textuel. Cette juriste démonte le mécanisme qui met à mal le fonctionnement des démocraties. Elle suggère également des pistes pour le revivifier. Nous vous proposons une fiche de lecture.


À l'heure où Vladimir Poutine annonce qu'il va révoquer un protocole additionnel adossé à la Convention de Genève de 1949 sur la protection des civils dans les conflits armés et remet brutalement en cause la commission d’enquête humanitaire qui s’y trouve établie, il nous a semblé intéressant de comprendre quelle était la lecture juridique du délitement de ces dispositifs juridiques internationaux. Dans son ouvrage, Monique Chemillier-Gendreau convoque un ensemble de concepts à la fois philosophiques et juridiques pour interroger les rapports entre le droit et la construction du projet démocratique, pour poser une analyse humaniste et néanmoins inquiète de la réalité actuelle de la démocratie.


Le dissensus et la conflictualité au coeur de la société démocratique


Monique Chemillier-Gendreau est juriste en droit public et praticienne notamment auprès de la Cour internationale de justice de La Haye. C’est avec cette expérience praticienne du droit qu’elle se penche sur l’effondrement des principes démocratiques qu'on observe aujourd'hui, à échelle internationale comme au sein de nos sociétés. Un postulat déterminant dans son exposé est la nécessité d’assumer le conflit et la divergence au sein de la société, qui se traduit par une violence déclarée légitime ou illégitime. Le droit y est alors le mécanisme qui permet de fixer des curseurs, de définir ainsi le point d’équilibre dans cette confrontation démocratique.

Cette notion de dissensus est actuellement délicate à promouvoir, tant la diversité sous toutes ses formes est perçue comme dangereuse, et suspectée d’affaiblir une nation et son projet de société. C’est une crainte observable dans les régimes autoritaires ou les états d’exception qui vont en conséquence suspendre ou restreindre le droit des individus.


La démocratie et les droits de l’Homme sont tombés dans une inertie catastrophique


Cela se traduit par une dérive de la notion de souveraineté, qui se résume et s’assimile au seul pouvoir étatique, en contradiction avec cette affirmation de la diversité qui est au cœur de la démocratie.


L'analyse de Chemillier-Gendreau est accablante : les institutions et les mécanismes qui devraient garantir la liberté des individus et des peuples sont actuellement en panne. À l’échelle du droit international, la gouvernance mondiale concentrée au sein du Conseil de sécurité de l’ONU est inopérante parce qu’elle est précisément peu démocratique. Les droits fondamentaux sont un outil pour faire progresser la liberté à la condition qu’on puisse s’en prévaloir devant la justice. Or, si celle-ci est attachée à un état et à sa juridiction et que ce dernier se pense comme souverain, on est dans l’impasse. Chemillier-Gendreau évoque ce projet hélas non abouti de juristes tunisiens d’une Cour constitutionnelle internationale qui aurait obligé les Etats à tenir parole en contrôlant leurs pratiques constitutionnelles par rapport aux normes internationales en matière de droits de l’Homme.


Le droit d'avoir des droits


Ces questionnements précieux éclairent différemment ce que sont les droits de l’Homme : l’idéal qu’ils représentent est très élevé et est souvent perçu comme abstrait (et critiqué dans ce sens) ; pourtant, il faut avoir à l’esprit que le fondement de ces droits est éminemment politique. Ils ont force de loi puisque ils ont été déclarés, et sont susceptibles d’évoluer, avec la société.


Aussi, la démocratie ne saurait se résumer à la seule revendication de ces droits, elle est également dans la possibilité de déborder des droits existants pour aller vers d’autres droits.


Ainsi le droit à la résistance, le droit de se dresser face à l’oppression est un droit qui est impensé, puisque précisément il a vocation à dépasser le cadre juridique posé, à l’éprouver pour en inventer un autre. En témoignent les mouvements qui agitent Hong-Kong, le Soudan ou l’Algérie, ajoute Chemillier-Gendreau, qui souligne leur vitalité et l’espoir qu’ils incarnent.


Monique Chemillier-Gendreau, Régression de la démocratie et déchaînement de la violence. Conversation avec Régis Meyran. Textuel, 2019.



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