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« L’esclavage, c’est l’antichambre de l’Enfer. »

Pendant l’été, les Nouveaux Dissidents rendent hommage au courage des femmes et mettent en lumière de véritables héroïnes, qui ont contesté les pouvoirs abusifs de leurs pays, milité en faveur des droits humains et ceux des femmes, sauvé des vies ou lutté pour la liberté d’expression. Ces femmes, avec ardeur, ont combattu la barbarie en prenant tous les risques – jusqu’à perdre la vie ou la liberté.


Cette semaine, nous présentons Harriet Tubman, dite « La Moïse noire », l’une des premières grandes figures de l’abolition de l'esclavage afro-américain aux États-Unis au XIXe siècle.

Harriet Tubman est née aux environs des années 1820/1825 (à l’époque, on n’enregistrait pas les naissances des esclaves), dans le Maryland, un état esclavagiste du Sud des États-Unis. Son père est un homme libre, sa mère une esclave. Selon la règle en usage, c’est la mère qui transmet sa condition à ses enfants. Harriet, par conséquent, est une esclave. Dès l’âge de cinq ans, elle est louée et travaille comme domestique dans les demeures de différents maîtres ou dans leurs champs. Elle endure des années de traitements inhumains, elle est battue et fouettée jusqu’à en garder à vie les cicatrices.


Un engagement qui trouve ses racines dans sa jeunesse


Un épisode de son enfance éclaire la détermination dont elle fera preuve par la suite pour entrer en dissidence : le système esclavagiste sépare les parents et les enfants, un propriétaire peut vendre à un autre les enfants de ses esclaves. Trois sœurs de Harriet sont ainsi vendues à un autre esclavagiste. Mais, quand il est question que le plus jeune fils, Moïse, soit aussi vendu, la mère d’Harriet se rebelle. Elle menace « d’ouvrir la tête au premier homme qui franchirait le seuil de sa maison ». Le propriétaire revient sur sa décision et la vente est abandonnée. Harriet est impressionnée par la détermination presque insensée de sa mère, qui a fait chavirer le plan du maître.


Adolescente, Harriet est grièvement blessée à la tête. Un jour, un contremaître la frappe violemment avec un poids de plus d’un kilo. Cette blessure lui procure tout au long de sa vie des crises, certainement de narcolepsie (des sortes d’évanouissements soudains), pendant lesquelles elle a des visions qu’elle interprète comme des messages divins.


Harriet développe alors une foi exacerbée et, comme beaucoup d’esclaves, elle se tourne vers l’Ancien Testament, qui lui permet de refuser une certaine lecture des Saintes Écritures selon laquelle les hommes doivent se soumettre à la volonté de Dieu. Les Églises Baptistes et Méthodistes acceptent les Noirs dans leurs communautés. L’enseignement qui y est délivré leur insuffle la volonté de construire une conscience collective et d’élaborer une pensée de rébellion. Comme Harriet, ils se passionnent pour le récit de l’Exode dans lequel Moïse libère les Hébreux d’Égypte, et ils s’identifient à ce peuple. La figure de Moïse représente le libérateur qu’ils attendent.


« J’ai compris que dans l’existence j’avais droit à deux choses : la mort ou la liberté. »


Affectée par cette étrange infirmité, Harriet oscille entre le sentiment d’être considérée par ses propriétaires comme une ouvrière déficiente à cause de sa mauvaise santé (ceux-ci ne lui accordent qu’une piètre valeur et veulent s’en débarrasser) et l’intuition d’être une élue de Dieu, dont la vocation est de sauver son peuple.


Aux environs de 1844, Harriet épouse John Tubman, un homme libre. En 1849 a lieu l’un des événements importants de sa vie : Harriet craint d’être vendue, son propriétaire lui cherche un acquéreur. Elle prie d'abord pour qu’il renonce à son projet, mais quand elle comprend qu’il restera inflexible, elle prie pour sa mort : « Mon Dieu, si vous ne comptez pas changer le cœur de cet homme, tuez-le, et ôtez-le de mon chemin. » Son vœu est exaucé : l’homme meurt ! Pour autant, son décès ne met pas fin à la menace d’être revendue par la veuve du défunt.


Harriet prend alors sa vie en main. Après une première tentative d’évasion avec deux de ses frères qui échoue, elle prend seule la fuite (son mari, en tant qu’homme libre, refuse de la suivre), et se fait aider en chemin par des partisans du mouvement abolitionniste, pour la plupart des Quakers, qui ont créé un réseau d’évasion connu sous le nom Chemin de fer souterrain (Underground Railroad). Après un périple long et dangereux (des “chasseurs d’esclaves” sont à l’affût) de 145 km, depuis le Maryland jusqu’à la Pennsylvanie, Harriet arrive là où elle peut être enfin libre.


« Quand j’ai réussi à franchir la frontière, j’ai regardé mes mains pour savoir si j'étais bien la même personne. Il y avait une telle lumière, une telle joie répandue sur tout le paysage : le soleil s’est levé et a déversé comme de l'or à travers les branches des arbres et cet or s’est répandu sur les champs aux alentours. J’ai eu la sensation d’être arrivée au Paradis. »


Une vie de combat


Sa détermination est alors inébranlable. Harriet décide de retourner au Maryland pour permettre à d’autres esclaves de s’échapper comme elle. Elle aide alors des centaines de personnes à fuir les États esclavagistes et à recouvrer la liberté, ce qui lui vaut son surnom de Moïse. Bientôt elle devient une figure légendaire. Elle est la première femme à marquer l’histoire de l’insurrection des Afro-américains.


En 1850, le Congrès américain vote le Fugitive Slave Act : toute tentative d’assistance aux esclaves fugitifs est punie de peines lourdes, même dans les États abolitionnistes. Les maîtres sont autorisés à aller reprendre leurs esclaves là où ils sont devenus libres. C’est le retour en enfer. La seule solution consiste à aller plus loin, jusqu’au Canada, le seul pays où les Noirs puissent vivre en sécurité. La tête de Harriet est mise à prix pour 40 000 dollars.


Pendant la Guerre de Sécession (1861-1865), Harriet met son expérience et sa science du voyage clandestin au service de l’Union (les nordistes). Elle joue un rôle important dans plusieurs groupes actifs en Caroline du Sud et prend même la tête d’une cellule d’espions. En 1863, elle intervient en tant que conseillère à l’organisation du raid des troupes du colonel James Montgomery contre des plantations esclavagistes. Elle participe ainsi à la libération de centaines d’individus.


Après la guerre, elle persiste dans son militantisme pour lutter en faveur des droits des Afro-américains et des femmes. Harriet Tubman est certainement la première féministe noire. Elle se bat pour le droit de vote des femmes, mettant en avant leur sacrifice pour la nation américaine.


Elle confie ses souvenirs à Sarah Bradford, sa voisine, qui lui consacre une biographie publiée en 1869. Le livre rencontre un grand succès. La même année, elle épouse Nelson Davis, un vétéran de la Guerre de Sécession, de vingt-deux ans son cadet. Harriet vit dans une maison à Auburn, dans l’État de New York, entourée de membres de sa famille et d’amis. Puis, l’âge venant, elle se retire dans l’hospice pour Afro-américains qu’elle a contribué à fonder. Elle meurt le 10 mars 1913, et reçoit les honneurs militaires à son enterrement. Depuis lors, chaque 10 mars un hommage est rendu à sa mémoire aux États-Unis.

En 2016, l’administration Obama annonce que son visage va figurer sur le billet de 20 dollars. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump, en 2017, annule le projet, reporté en 2028…

A lire : Harriet Tubman, la femme qui libéra 300 esclaves, Anouk Bloch-Henry, éditions Oskar, avril 2019

A écouter : Harriet Tubman, la « Moïse noire » de l’Amérique, un récit documentaire de Michel Pomarède diffusé sur France Culture.



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