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« Pour moi, le dissident est d’abord celui qui s’arrête »

François Sureau, avocat auprès du Conseil d’État et de la Cour de Cassation, écrivain, connu pour son engagement en faveur des libertés publiques, revient sur les lois actuellement votées en France et nous donne sa vision de la dissidence.


Copyright Catherine Hélie-éditions Gallimard.


Que vous inspire le mot de "dissidence" ?


J’aime ce mot, pour ce qu’il comporte de courage, et surtout de volonté de penser contre soi, contre parfois ce a quoi l’on peut tenir pour de mauvaises raisons, par habitude et par confort. C’est Bernanos rompant avec son passé et partant en guerre contre l’Eglise compromise dans la guerre d’Espagne ; et Soljenitsyne éprouvant de l’intérieur, et dans sa chair, le mensonge d’une idée a laquelle il avait cru. Le monde de l’ordre, le monde des institutions, celui de la vie comme elle va, ne cesse pas de faire sa propre propagande. Chaque jour nous sommes exposés aux hommes d’argent qui vantent l’argent, aux politiciens qui chantent le pouvoir, aux juges qui chantent une probité qui n’existe guerre. La dissidence n’est d’ailleurs pas pour moi synonyme de militantisme exalté. Il peut y avoir une dissidence silencieuse, intérieure. Je connais peu d’auteurs plus subversifs que Pascal. « Lorsque tous vont vers l’abîme, nul n’y semble aller. Celui qui s’arrête fait remarquer l’emportement des autres, comme un point fixe ». Pour moi, le dissident est d’abord celui qui s’arrête.


En quoi les lois décidées aujourd’hui et peut-être appliquées demain vont transformer notre pays ?


Ces lois sont blâmables d’abord parce que ce ne sont pas des lois, c’est-à-dire des règles mûrement délibérées, avec prudence, en pesant les atteintes qu’elles feront subir aux libertés dans le temps long. Nous sommes entrés au contraire dans le temps du simple rot législatif. A chaque événement sa loi, et au diable les conséquences. Or il n’y a pas de démocratie sans loi, sans le caractère à la fois transcendant et prévisible de la loi. L’improvisation législative est devenue permanente. Sans doute parce que les politiques usent de cette improvisation normative pour masquer le peu d’influence réelle qu’ils ont sur les choses. Et c’est bien la seconde raison d’inquiétude. La demande de sécurité est évidemment légitime. Mais il est plus facile de réduire les libertés de tous les citoyens que de réformer avec courage, de satisfaire les demandes corporatistes de la justice répressive ou des forces de l’ordre que de créer les conditions d’une sécurité respectueuse des libertés publiques. C’est ce qu’on fait depuis dix ans. L’Etat ne fonctionne plus au bénéfice des citoyens.


Et selon vous la loi « anticasseurs » en est un exemple...


Oui, il eût été absolument possible de mettre en place un système général de contrôle des objets dangereux par l’autorité préfectorale, parce que le droit de manifester n’est évidemment pas celui de ravager une ville. Au lieu de cela, on a préféré admettre en principe qu’un préfet ou un procureur pourraient interdire a quelqu’un de manifester sur la base du soupçon. Cette pente est dangereuse, parce qu’elle conditionne l’exercice des libertés du citoyen a l’idée que le pouvoir, contre lequel le plus souvent le citoyen manifeste, se fait précisément du caractère « acceptable » du citoyen.


C’est un renversement complet des perspectives, si l’on se souvient que la préservation d’un régime de liberté est, dans la déclaration elle-même, le « principe et fondement » de l’association politique et de l’ordre institutionnel qui en découle. Nous sommes en réalité en train, loi après loi, de répudier notre tradition nationale de la liberté.


La transformation dont vous parlez a déjà lieu. Pour nombre de bons esprits, elle ne deviendra visible que sous un pouvoir plus dur, plus éloigné de ce que les modérés pensent, qu’il soit d’extrême droite ou d’extrême gauche. Mais alors il sera trop tard. Nous aurons déjà perdu nos raisons principielles de lutter. Les libertés ne sont pas comparables à la queue du lézard. Elles ne repoussent pas.

Que faudra t-il faire alors ?

Ce n’est pas alors, c’est maintenant qu’il faut agir. Rappeler aux gouvernements, aux parlements, que le droit des libertés n’est pas une contrainte avec laquelle on pourrait ruser, mais l’essence même de notre système politique, risques compris. Ne pas se lasser de demander une organisation institutionnelle plus juste, plus respectueuse des libertés et des droits de la personne, et cela va des règles du procès pénal a l’encadrement de la police administrative, sans oublier bien sur la réforme de ce conseil constitutionnel qui n’a pas encore trouvé le mode de recrutement et de fonctionnement qu’appelle son rôle nouveau.

Propos recueillis par Flore de Borde.

A lire de François Sureau :

"C'est le citoyen qu'on intimide et pas le délinquant", Le Monde, 04 février 2019

Pour la liberté. Répondre au terrorisme par la raison, Paris, Tallandier, 2017

Le chemin des morts, Galimard, 2013



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