La fin de Liu Xiaobo
Le décès de Liu Xiaobo ce 13 juillet 2017 a certainement été, pour tous ceux qui espéraient voir un jour l’avènement d’une Chine démocratique, l’un des événements les plus tristes que l’on puisse imaginer. Il est pourtant passé relativement inaperçu dans le flot continu de l’information de cet été.
Liu Xiaobo, seul Prix Nobel de la Paix que la Chine ait jamais abrité, avait été condamné en 2009 à onze ans de réclusion pour avoir participé à la rédaction d’un texte, la Charte 08, qui proposait de modifier la Constitution chinoise pour avancer progressivement vers un Etat de droit. C’était la quatrième fois que Liu Xiaobo allait connaître les souffrances de l’incarcération, car il avait activement participé aux manifestations de la place Tian’anmen en 1989, avait condamné le massacre du 4 juin 1989 et décidé de consacrer le reste de sa vie à commémorer le souvenir de ces âmes défuntes tout en tentant de faire évoluer son pays pour qu’un tel drame ne puisse plus se reproduire.
Nous avions été surpris en 2009 de la lourdeur de la peine. Pourquoi onze ans ? Pourquoi pas dix ? Ou cinq ? Une réponse peut-être : le trentième anniversaire du massacre de Tian’anmen sera commémoré en 2019. En condamnant Liu Xiaobo à onze ans de prison, l’Etat-parti était sûr qu’il ne sortirait pas avant 2020. Ses amis, ses admirateurs espéraient tout de même avoir l’occasion de le revoir un jour, et de pouvoir profiter à nouveau de ses analyses.
L’annonce soudaine de sa maladie à la fin du mois de juin est tombée comme une douche froide, d’autant plus qu’une courte apparition de son épouse Liu Xia en larmes sur les réseaux sociaux nous apprenait que « plus rien n’est possible : ni chimiothérapie, ni opération, ni radiothérapie ». Le cancer du foie était en phase terminale, et le dernier vœu de Liu Xiaobo, ainsi que de sa famille proche, était qu’il puisse mourir en liberté, hors de Chine. Liu Xiaobo aurait même exprimé son désir de partir avec Liu Xia et le frère de celle-ci, Liu Hui. Une mobilisation mondiale s’est rapidement constituée autour de ce projet et deux pays se sont montrés particulièrement actifs, l’Allemagne et les Etats-Unis, envoyant même des médecins en Chine, qui ont déclaré que le transport de Liu Xiabo était envisageable.
Pourtant, même ce dernier vœu n’a pas été exaucé et, jusqu’à son dernier souffle, Liu Xiaobo aura vécu sous une surveillance policière et sous la contrainte. Même si son épouse et son beau-frère ont été autorisés à rester près de lui jusqu’à la fin, ils n’étaient pas plus libres que lui, coupés du monde, interdits de tout contact avec l’extérieur. Aucun des amis de Liu Xiaobo n’a pu venir lui faire ses adieux.
La suite des événements a été tout aussi contrôlée. Avec une célérité quasiment inimaginable, les autorités de Shenyang ont organisé une cérémonie funéraire qui s’est tenue dès le 14 juillet, lendemain du décès. Cette cérémonie a été filmée et, en apparence, tous les honneurs ont été rendus à Liu Xiaobo : couronnes de fleurs, décorum, présence de Liu Xia, Liu Hui et quelques personnes autour du cercueil, dont on pense qu’ils étaient sans doute des policiers.
Le lendemain, 15 juillet, une nouvelle photo stupéfiante : Liu Xia et son frère sont sur un bateau, appuyés sur la rambarde, et assistent, le visage fermé, à la dispersion des cendres de Liu Xiaobo en pleine mer. En moins de quarante-huit heures, Liu Xiaobo a été rayé de la surface de la terre. Sans doute le pouvoir craignait de voir s’organiser un pèlerinage autour de sa tombe, s’il avait fallu accorder une sépulture à ses cendres.
Dernière scène de ce macabre feuilleton : une conférence de presse le 16 juillet durant laquelle l’un des frères de Liu Xiaobo, Liu Xiaoguang, prend la parole devant un parterre de journalistes avides de comprendre le déroulement des événements dont ils ont à peine eu connaissance. Il déclare, en s’exprimant laborieusement pendant plus de trente minutes, que la famille est reconnaissante au parti communiste d’avoir si bien organisé les funérailles de Liu Xiaobo, en précisant que la crémation était maintenant une pratique répandue en Chine, et que la disparition des cendres aurait au moins évité à la famille les tracas de faire élaborer un tombeau.
Liu Xiaoguang, c’est de notoriété publique, est membre du parti communiste chinois depuis de nombreuses années, et il a coupé toute relation avec son illustre frère, dès que ce dernier devint connu pour son engagement démocratique. Le choisir, lui, pour proférer son homélie et le discours destiné à la presse et au monde, est l’une des pires insultes que l’on pouvait faire à la mémoire de Liu Xiaobo.
Quelques secondes après la fin de son discours, la vidéo (qui circule sur les réseaux chinois par Youtube) montre Liu Xiaoguang s’échapper rapidement de la salle de conférence, en shorts, et en tirant une bouffée sur sa cigarette. Une tenue et un comportement public pour le moins surprenants pour le membre d’une famille en deuil. Les journalistes se lèvent et tentent de poser une question. Une jeune fonctionnaire prend alors le micro, remercie l’assemblée et annonce la levée de la réunion.
Pas un mot de vérité sur les circonstances de la maladie de Liu Xiaobo : avait-elle été diagnostiquée depuis longtemps ? Aurait-il été possible de prolonger de quelques mois la vie de Liu Xiaobo avec des soins appropriés ? Pourquoi une telle hâte pour faire disparaître le corps du Prix Nobel de la Paix ? Une autopsie aurait-elle pu révéler des informations dérangeantes ? Autant de questions qui resteront en suspens.
Depuis la mort de son époux, Liu Xia n’a plus été revue par ses amis. Une vidéo a bien été diffusée, la montrant environ un mois après le décès de Liu Xiaobo, expliquant d’une voix étouffée qu’elle était en province, qu’elle avait besoin de temps pour se remettre de son deuil, et qu’elle demandait un peu de patience à ses amis. La vidéo semble avoir été tournée par des personnes chargées de surveiller la veuve, et lui soufflant ce qu’elle devait dire pour calmer les rumeurs de la disparition de Liu Xia et les craintes concernant son absence de liberté de mouvement. Le bruit courait qu’elle était retenue dans la province du Yunnan, au Sud de la Chine.
Par la suite, un ami de Liu Xia, résidant à Hong Kong, Lu Siqing, fondateur d’un centre basé à Hong Kong pour informer sur les Droits de l’Homme et la démocratie, a raconté qu’il avait réussi le 2 septembre, par chance, à entrer en contact avec Liu Xia par téléphone. On a ainsi appris qu’elle avait pu retrouver son domicile pékinois, qu’elle souffrait d’une forte dépression et prenait beaucoup d’antidépresseurs, dont elle ne pouvait plus se passer. Lu lui conseillait de venir faire une convalescence à Hong Kong mais Liu Xia a simplement répondu que, pour le moment, elle espérait seulement pouvoir rester chez elle, ce qui sous-entendait qu’elle craignait, comme c’est généralement le cas pour les dissidents connus avant un grand événement dans la vie du parti, d’être forcée d’accepter une nouvelle résidence surveillée dans un lieu inconnu. L’approche du 19ème Congrès à Pékin en octobre, confirme cette inquiétude.
Liu Xia a également confié en pleurant que l’urne contenant les cendres de son mari ne lui avait pas été rendue. A une épouse en deuil, le moindre objet pouvant lui rappeler son mari revêt une importance affective bien compréhensible. Même ce souvenir ne lui a pas été rendu.
Broyée par un pouvoir inflexible, Liu Xia semble si fragile que l’on est en mesure de se demander ce qui pourrait l’arracher des griffes de ses tortionnaires.
Il existe une pétition qui demande la libération de Liu Xia. Elle est adressée à Mme Hidalgo, Maire de Paris, par Mme Béatrice Desgranges :
www.change.org/p/mme-hidalgo-après-la-mort-de-liu-xiaobo-paris-doit-afficher-son-soutien-à-liu-xia