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Aux âmes errantes (du 4 juin 1989)


On célébrera le 4 juin le trentième anniversaire des événements de la place Tiananmen. Plusieurs ouvrages reviennent sur cet épisode qui a transformé la Chine contemporaine et continue de fonder la doctrine antidémocratique de l'État et du parti communiste chinois. Parmi ces publications, nous avons retenu l'édition française de Des balles et de l'opium, un recueil de témoignages des protagonistes de Tiananmen constitué par Liao Yiwu, poète et dissident chinois réfugié en Allemagne (Éditions Globe, traduction Marie Holzmann ; Liao Yiwu était présent fin mai aux Assises internationales du roman à la Villa Gillet à Lyon et participait à la conférence “Le courage de la dissidence”).


Nous recommandons tout particulièrement l'ouvrage que consacre le journaliste Pierre Haski au Nobel de la paix Liu Xiaobo, ami et compagnon de lutte de Liao Yiwu.


Liu Xiaobo, L'homme qui a défié Pékin (Arte Éditions/Hikari) est le récit passionnant d'un long et douloureux combat pour la démocratisation de la Chine mené par un homme convaincu de la nécessité absolue d'agir de façon non-violente.


Trente ans après le 4 juin 1989, la Chine de 2019 est la première puissance économique mondiale, et l'un des régimes antidémocratiques les plus solidement installés, contredisant avec vigueur l’idée que l'enrichissement économique et la libéralisation de la société vont nécessairement de pair. Le capitalisme et l'économie numérique ont au contraire armé le pouvoir autocratique de Xi Jinping. Depuis 2012, ce dernier concentre les pouvoirs de façon encore plus inflexible et les combats démocratiques sont désormais dangereux et les voix dissidentes réduites au silence jusque dans les pays où elles ont trouvé refuge : il en va ainsi, nous explique Haski, du silence de Liu Xia, la veuve de Liu Xiaobo installée en Allemagne depuis un an, et dont le frère, resté en Chine, sert pour ainsi dire de monnaie d'échange.


Depuis les leaders étudiants de 1989 réfugiés à Hong Kong et exilés en Occident jusqu'aux “mères de Tiananmen“ (en référence aux mères argentines de la place de mai) rassemblées autour de Ding Zilin pour faire reconnaître le massacre de leurs enfants qui manifestaient pacifiquement, ou encore les nombreux “avocats Weiquan“ protecteurs des droits empêchés d'exercer et raflés en 2015, la surveillance et la répression systématique ont ainsi anéanti ou poussé à l'exil nombre de dissidents chinois. Parmi ceux-ci, Liu Xiaobo, homme de lettres et soutien assidu des étudiants de 1989, plusieurs fois emprisonné, auteur en 2008 de la Charte 08, arrêté quelques heures avant la publication de celle-ci (comme en leur temps les auteurs de la charte 77 en Tchécoslovaquie) et condamné à une peine de prison de onze ans qui s'est achevée en calvaire jusqu'à son décès en juillet 2017 dans un hôpital où il avait été admis in extremis, souffrant d'un cancer du foie en phase terminale.


Pierre Haski documente par de nombreux témoignages de ses contemporains et traducteurs le parcours intellectuel et humain d'une figure illustre de la résistance pacifique : à lire les positions et les questionnements de Liu Xiaobo, on est frappé par la dimension universelle de son combat, et par le bien-fondé de ses actions des décennies plus tard. Les prises de position très récentes du gouvernement chinois sur Taiwan ou sur le 4 juin 1989 nous font apprécier combien “l'enjeu chinois“, tel que le définissait la diplomatie occidentale des années 2010 en termes exclusivement commerciaux et économiques, est désormais foncièrement politique, et appelle à la plus grande des vigilances.

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