Reihane Taravati, dissidente iranienne : « Ce n’étaient pas des élections, mais un show ».
Pour Reihane Taravati, photographe iranienne qui s’est fait connaître du monde entier en dansant sans voile sur Happy de Pharrell Williams en 2014, les élections présidentielles de vendredi 18 juin, qui ont consacré la victoire du candidat du pouvoir Ebrahim Raïssi, marquent l’ultime étape du divorce entre l’État et une majorité du peuple. Entretien.
Le nom du nouveau président a été connu très rapidement. Ebrahim Raïssi, 60 ans, a été élu dès le premier tour à 61,95% des voix. Un triomphe pour ce proche des véritables maîtres du pays, le « guide suprême » Ali Khamenei, 82 ans, et le corps des « Gardiens de la révolution » ? Plutôt un signe de raidissement de la part du régime islamique. Les candidats réformateurs avaient été préalablement empêchés de se présenter. La participation, de 48,8% des inscrits, est la plus faible depuis l’instauration de la « république islamique » en 1979. Le camp réformateur, même soumis à l’autorité des religieux, ne sera plus représenté dans l’État. Nous avons demandé à Reihane Taravati de nous dire ce qu’elle pensait de ce vote du 18 juin. La jeune femme, qui avait subi la rage des religieux après avoir diffusé en 2014 un clip dans lequel elle dansait sans voile et en compagnie de garçons, et qui est toujours régulièrement inquiétée par le pouvoir pour sa liberté de vie et de ton, est nette : « C’est un jour très triste pour mon pays. Raïssi va rendre les règles encore plus strictes : moins de libertés, plus de censure, moins de discussions avec les autres pays du monde ». Le président Raïssi est un fidèle du régime, adepte docile du principe de la « guidance du juriste religieux », tour de passe-passe théologique qui permet aux ayatollahs de justifier leur pouvoir. Ce juriste, descendant du Prophète, est pressenti pour succéder à Khamenei. Mais il est également connu pour avoir œuvré durant les périodes les plus répressives du régime. Amnesty International réclame une enquête sur le rôle joué par Raïssi dans le « Comité de la mort » qui, sous l’égide de Khomeiny, exécuta en 1988 plusieurs milliers d’opposants.
Mais « la meilleure chose que nous ayons faite a été de ne pas voter », complète Reihane. Ni elle, ni aucun de ses amis, ne se sont déplacés. Pourquoi ? « Nous n’attendions rien ». Même des candidats réformistes, finalement interdits de participation, ont appelé à s’abstenir. La jeune femme cite un tweet de l’humoriste et présentateur de télévision Kambiz Hosseini, qui vit à New-York : « un événement sans précédent se dessine pour nous les Iraniens. Aujourd’hui l’Iran est officiellement divisé entre le gouvernement et le peuple ». Plus personne ne représente cette majorité de la population qui veut la liberté, la fin de la censure et de l’isolement international. Ainsi, continue Reihane, les 30 millions de citoyens qui ont refusé de participer à ce « show » « sont tellement en colère qu’ils veulent continuer à se battre, mais pour eux-mêmes ». L’Iran entre donc « dans une nouvelle phase, avec une population réellement polarisée : c’est eux et nous, les soutiens les plus durs du régime d’un côté, le reste de la population de l’autre ». Conclusion : « Nous devrons tout faire nous-mêmes et un long chemin nous attend ». Après des années d’espoirs et de répression, dans la tête de nombreux iraniens, un cycle décisif s’ouvre désormais.
Michel Eltchaninoff
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