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Un rappeur russe condamné






Quand la répression n’est pas violente ou sadique, dans la Russie de 2023, elle semble presque absurde. Le célèbre rappeur russe Oxxxymiron — Miron Fiodorov de son vrai nom — s’est déclaré contre la guerre dès le 24 février dernier (plus de 7 millions de vues sur Instagram). Il a été classé dans la catégorie infâmante et contraignante « d’agent de l’étranger » à l’automne. Cela ne l’a pas empêché de diffuser son nouveau clip, Oïda. Et le procureur de sa ville de Saint-Pétersbourg vient de le condamner à 70 000 roubles d’amende pour… séparatisme. Oïda, ballade fantastique dans les cours et sur les quais pétersbourgeois, sur fond de chœurs « vieux russes », est une chanson emplie de paroles à double sens. Si l’on comprend aisément « j’ai tué l’empire en moi », le rappeur évoque un mystérieux « propriétaire » qui s’énerve de « ne pas arriver à nous déloger » — nous, les opposants à la guerre. Oxxymiron poursuit en chantant : « sur notre drapeau, il y a de la neige blanche et une rivière bleue (c’est tout) », référence au drapeau russe blanc et bleu, sans le rouge de la nostalgie soviétique ni du sang sacrificiel, qui rassemble tous ceux qui veulent créer une nouvelle Russie débarrassée du poutinisme. Il fustige les artistes qui poursuivent leurs concerts et leurs tournées comme si de rien n’était alors que « la guerre est à côté ». Il évoque le camp soviétique des Solovki, dans la Mer blanche, regrette son « ancienne maison », devenue maudite à cause d’un « sorcier » ou d’un « vieux nain ». Il regrette qu’« on nous effraie avec le champignon nucléaire » avant d’envoyer au diable — en russe, c’est plus direct — « les vieillards qui lèchent le sang des fils d’autrui ». Le deuxième couplet est du même acabit. Mais ce n’est pas l’objet du délit. La chanson se conclut en effet sur ces mots : « L’Ingrie sera libre ». L’Ingrie, c’est le nom traditionnel donné à la partie Nord-Ouest de la Russie, sur laquelle a été bâtie Saint- Pétersbourg. C’est donc pour appel au séparatisme que vient d’être condamné le rappeur. On peut n’y voir qu’un prétexte dérisoire, recherché par les enquêteurs et les juges, dans une chanson (à peine) cryptée, pour accuser Oxxymiron d’un crime grave. Mais au fond c’est peut-être justement ce séparatisme que craignent plus que tout les autorités. Qui sait dans quel état se maintiendra, à l’avenir, un pays coupable de cette guerre ? Qui sait si des peuples très éloignés de la Moscovie voudront encore être soumis aux décisions du Kremlin ? C’est ce séparatisme qui doit empêcher les dirigeants russes de dormir. C’est lui que chante, pour les torturer et les avertir, Oxxxymiron. Ce qui fait tant peur au pouvoir russe, ce ne sont pas seulement les appels à désobéir aux ordres, mais aussi la désagrégation morale et territoriale de la Russie de demain. C’est sans doute pour cela que cette chanson est aussi envoûtante qu’inquiétante. En la réécoutant, nous vous souhaitons une année 2023 d’engagement et de combat créateur contre les oppressions, une année de dissidences.


Michel Eltchaninoff


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