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“La Tête de Lénine, c’est le cadeau du samizdat. ”

Nikolaï Bokov est né en 1945 à Moscou. Dès son adolescence, il décide de s’opposer pacifiquement au système soviétique via l’édition clandestine : le samizdat. Contraint à l’exil en 1975, il s’installe à Paris où il exerce depuis les métiers de journaliste, éditeur et écrivain.


Pour le centenaire de la révolution russe, les éditions Noir sur Blanc, rééditent La Tête de Lénine, une satire de la société soviétique et de ses symboles. Ivan Chmotanov est un voleur qui a la particularité de ressembler comme deux gouttes d’eau à Lénine. Le jour où il décide de voler la tête de ce dernier au mausolée pour la revendre à Rockefeller, la machine soviétique s’affole et la catastrophe s’approche.

Ce livre a été simultanément publié en France en 1970, et en samizdat en URSS — pour le centenaire de la naissance de Lénine.


Quelles circonstances ont-elles inspiré ce livre ?


Le titre est assez parlant : tout est lié avec la momie Lénine qui se trouve dans le mausolée de la Place Rouge. L’idée était d’inventer une blague politique (en russe “ anekdot ”), assez longue pour être lue et assez subversive pour changer l’esprit des gens. L’“ anekdot ” politique était une tradition bien ancrée en Russie puis URSS. En français, je crois que la traduction la plus juste serait celle de folklore politique. Ces petites blagues sont en général anonymes. La mienne aussi. Elle est même faussement attribuée à un écrivain soviétique, Vsevolod Kotchetov qui, à l’époque, était un véritable pilier du régime. Le succès rapide de mon livre lui a d’ailleurs valu d’être interrogé par le KGB !


Pourquoi avez vous pensé qu’il était nécessaire de le republier cette année ?


C’est d’abord l’idée de l’éditeur Noir sur Blanc. A sa parution, cet ouvrage a attiré l’attention. Il a été édité par Robert Laffont. Je suis passé à la télévision. Je crois qu’il s’est alors inscrit dans les mémoires. Il s’agit donc en partie de reprendre un ouvrage qui a eu un certain succès. Mais la principale raison est évidemment le centenaire de 1917, l’année fatidique…


Belle coïncidence lorsqu’on sait qu’à l’origine, votre ouvrage fêtait déjà un centenaire.


Absolument. Pour les 100 ans de Lénine, en URSS, tout le monde se faisait des cadeaux. Mais La Tête de Lénine, c’est le cadeau du samizdat.Aujourd’hui on fête à nouveau un centenaire et ce n’est pas par hasard si la préface pour la réédition française a comme titre “ Deux fois cent ans ”. En russe “ Dva raza po sto ! ” (“ deux fois cent grammes ” [de vodka]), il y a en plus l’idée de boisson forte.

© Les nouveaux dissidents


En 1975 vous êtes “ invité ” à émigrer à Paris et dès lors, on peut constater un arrêt de votre activité politique, ou du moins de votre œuvre politique. Pourquoi ? Est-ce lié avec le fait de ne plus être dans l’atmosphère clandestine ?


Menacé par la prison, l’hôpital psychiatrique et les tentatives de meurtres pour mon activité dans le samizdat, j’ai du quitter Moscou en 1975 avec pour projet de rejoindre un ami à Los Angeles et finir ma thèse à UCLA. Cependant, j’ai reçu une lettre du slaviste Alain Prechac qui me proposait de passer par Paris pour écrire un avec lui un ouvrage sur la littérature soviétique. Je suis donc venu à Paris et j’y suis resté pour travailler russophone au journal “ La Pensée russe ” et fonder ma revue littéraire : “ Kovtcheg ”.

Quelle activité politique pouvait-on mener ici, à l’ouest ? Bon, il y avait bien » radio liberté » et quelques maisons d’éditions… Le journal “ La Pensée russe ” était antisoviétique. J’envoyais des matériaux en Russie, notamment par ma mère ou avec l’aide de l’association » L’aide aux croyants » en URSS. Surtout des livres interdits. J’avais une quarantaine de contacts illégaux en URSS.


Vous parlez dans votre préface d’une excitation unique à écrire dans la clandestinité en Union soviétique. Avez-vous perdu ce sentiment en émigrant en France ?


Bien sûr, c’est le fruit défendu qui a le meilleur goût, alors qu’ici, les livres étaient tous accessibles au public. Il fallait cependant rattraper les lectures que je n’avais pu faire en Union soviétique et cette effervescence a continué pendant encore trois ou quatre ans. “ Kovtcheg ” était une aventure palpitante !


La Tête de Lénine constitue la volonté de désacraliser les symboles soviétiques et de casser la propagande. Comment expliquez-vous le retour de certains symboles soviétiques dans l’idéologie d’État russe contemporaine ?


Qu’est-ce que l’URSS ? Un gigantesque empire de terreur et d’espionnage, un phénomène inédit dans l’histoire. L’empire existe, persiste et finalement, se suicide. J’aimerai vous répondre dans les termes de La Fontaine. Imaginez vous un maître mauvais qui avait un chien méchant. Le maître, c’est le parti communiste, et le chien c’est le KGB, la police secrète.


En 1991, le maître se suicide et le chien qui reste seul. Pauvre chien. Il est intelligent, mais seul. Et comme c’est un chien, il n’a pas d’idéologie ou de pensées globales comme celles de Marx ou de Lénine. Il y a une police mais il faut donner quelque chose aux gens à la place de “ l’avenir radieux ”.

Imaginez vous un maître mauvais qui avait un chien méchant. Le maître, c’est le parti communiste, et le chien c’est le KGB, la police secrète.


Le chien cherche donc de quoi remplacer cette idéologie. Il trouve le passé russe, glorieux et puissant. Il ajoute l’église orthodoxe avec l’accord de tout le peuple. Mais cela ne suffit pas, il faut quelque chose de plus récent. Apparaît alors l’évidence de la grande victoire à la fin de la Seconde Guerre, donc la victoire stalinienne. Récemment, j’ai entendu parler de la résurrection de l’institution des jeunes Pionniers en Russie. On a ajouté des petites choses comme la prise de la Crimée, une conquête qui excite le peuple et lui donne un sentiment d’impunité et de puissance.Tous ces éléments permettent de proposer des repères à la société, empêchant un mouvement centrifuge mais cela a créé une sorte d’amalgame entre des éléments souvent opposés.


C’est la preuve qu’il n’y a aucune cohérence. On fait de la politique au jour le jour.


Vous êtes un dissident soviétique. Quel regard posez-vous sur la nouvelle dissidence russe d’aujourd’hui ?


Il y a Alexeï Navalny*, qui serait davantage un opposant qu’un dissident, et qui mène un véritable combat politique. Je ne sais pas si c’est possible dans les conditions russes actuelles car le pouvoir d’aujourd’hui épuise l’opposition. On s’attaque physiquement à Navalny et on crève les pneus, les vitres, de ses collaborateurs. Il faut voir combien de forces ils auront pour continuer ce combat. Il a pensé qu’avec son film sur la corruption de Medvedev (vu plus de 20 millions de fois, le film, diffusé en mars 2017, a été interdit et est, depuis, gracieusement hébergé par le site pornographique Pornhub), on pourrait faire bouger des montagnes. Mais le pouvoir en fait abstraction. Le déséquilibre est trop grand.


Propos recueillis par Maxime Danielou.


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* Avocat et blogueur anti-corruption candidat à la présidentielle russe de 2018. Il est sous le coup de plusieurs enquêtes destinées à entraver sa candidature.


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