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Entretien avec Murat Harri Uyghur, figure du combat de la diaspora ouïghoure contre la campagne de r

Située à l’extrémité occidentale de la Chine, la région du Xinjiang possède la particularité d’être historiquement peuplée de musulmans de langue turcique dont la majorité appartiennent à l’ethnie ouïghoure. Dès l’établissement du pouvoir communiste en 1949, l’État s’est employé à mettre en place une politique de repeuplement de la région par des Hans, de sinisation culturelle et linguistique et de limitation de la pratique religieuse. Prétextant la lutte contre le terrorisme et le séparatisme, le régime communiste a franchi ces dernières années un nouveau palier dans sa politique de répression au Xinjiang. Dans un rapport publié en septembre 2018, l’organisation Human Rights Watch dénonce la détention arbitraire de plus d’un million d’Ouïghours et autres populations musulmanes dans des camps de « rééducation » où les détenus subissent un endoctrinement forcé et violent. Tandis que toute contestation depuis l’intérieur est immédiatement réprimée et que les observateurs étrangers n’ont pas accès aux camps, la diaspora ouïghoure est devenue le principal relais d’information et de contestation de la campagne de répression au Xinjiang.


Afin de comprendre comment s’organise cette dissidence depuis l’extérieur, nous avons interrogé une de ses figures centrales, Murat Harri Uyghur, fondateur de l’association Uyghur Aid.


Né le 5 avril 1985 dans la ville de Tourfan au Xinjiang, il y a grandi avec ses parents, fonctionnaires à la retraite. Après des études en Chine et en Thaïlande, M. Uyghur est arrivé à Helsinki en 2010 pour achever des études de médecine. Comme beaucoup d’Ouïghours vivant à l’étranger, notre interlocuteur a été touché par la campagne de répression à l’œuvre au Xinjiang. Lorsque sa mère disparaît en 2017, il comprend rapidement qu’elle a été emmenée dans ce qu’il appelle « un camp de concentration ». Face au manque de réaction des médias occidentaux et des organismes gouvernementaux qu’il essaye d’alerter, Murat et sa femme décident de créer l’association « Uyghur Aid » dont l’objectif principal est de faire reconnaître au monde l’existence des camps : : « J’ai envoyé plus de 1000 courriers à des agences de presse, à des organisations, à des ambassades, et personne ne m’a répondu. ».

Murat Harri Uyghur lors d’une manifestation contre la répression des Ouïghours à Helsinki en 2018 ©Uyghur Aid


Comme la majorité des Ouïghours dans son cas, M. Uyghur craint des répercussions pour sa famille restée en Chine s’il s’oppose publiquement à la politique de l’État chinois. Particulièrement inquiet par le sort de son père, il agit donc d’abord de façon anonyme : « J’utilisais un pseudonyme pour cacher mon identité, car j’avais peur que l’on augmente la pression sur ma famille. ». Ces précautions ne semblent pourtant pas suffisantes et les autorités chinoises, informées de ses activités, menacent de s’en prendre à son père : « En décembre (2017), mois le plus froid de l’année, le chauffage a été coupé dans la maison de mon père ». En janvier 2018, le père finit par être emmené dans un camp et le mois suivant, la grand-mère paternelle de Murat Harri Uyghur décède dans des conditions qui ne lui seront jamais communiquées : « Cette série d’évènements a constitué un tournant dans mon engagement personnel. J’ai dès lors décidé d’agir à visage découvert et de me consacrer à temps plein à l’association. ».


Le principal outil de lutte de Murat Harri Uyghur est la vidéo. Afin de sensibiliser les autres Ouïghours résidents à l’étranger et les amener à témoigner sur leur sort ou celui de leur famille, il publie principalement sur Facebook, un réseau social interdit en Chine. Rapidement, les témoignages affluent et sont diffusés sur le site de l’association Uyghur Aid. Grâce à ces témoignages, l’association parvient à monter des dossiers envoyés ensuite aux ONG (Human Rights Watch, Amnesty International) et à des organisations gouvernementales (UNHRHC, ministère des Affaires étrangères de différents États européens).


M. Uyhgur collabore également avec les journalistes désirant enquêter sur la situation au Xinjiang « Nous agissons aussi comme intermédiaire pour mettre en relation les journalistes avec les témoins qui les intéressent. S’ils désirent ensuite se rendre en Chine, nous les aidons à préparer leur voyage, à localiser les camps et les barrages de police. ».


Lorsque nous lui demandons de nous parler de la résistance intérieure, au Xinjiang ou dans les autres régions, M. Uyghur nous rappelle la situation d’Ilham Tohti. Cet universitaire ouïghour, qui enseignait l’économie à l’université de Pékin, est emprisonné depuis 2014 pour avoir critiqué l’action de l’État chinois au Xinjiang, avant même la mise en place des camps : « Ce n’est pas tout, d’autres ont été poursuivis, y compris des avocats chinois non ouïghours ». S’il est pessimiste quant à la réussite d’une contestation interne, Murat pense que Pékin n’est pas insensible à la pression internationale. « En décembre 2018, mes parents ont été libérés. À mon avis cela signifie que l’État chinois peut tout de même être mis sous pression dans le cadre de cette affaire, et que nous y avons participé. »


Au siège de l’association Uyghur Aid à Helsinki en 2019 ©Uyghur Aid


Maxime Daniélou


Jeune chercheur et journaliste, Maxime Daniélou est diplômé de l'Inalco et de l'Institut Français de Géopolitique. Ses recherches se concentrent sur les relations entre la Russie, la Chine et les États d'Asie centrale. Sensible à la question des Droits de l'Homme dans cet espace, il collabore régulièrement avec Les Nouveaux Dissidents.

Aller plus loin :

Pour mieux connaître l’initiative Uyghur Aid, voir le site : https://uyghuraid.org/

Pour mieux comprendre l’ampleur de la crise, voir le rapport de Human Rights Watch : https://www.hrw.org/report/2018/09/09/eradicating-ideological-viruses/chinas-campaign-repression-against-xinjiangs

Voir le documentaire d’Angélique Forget et Antoine Védeilhé « Ouïghours, à la force des camps », diffusé par France 24.

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